Paul Valéry, quand il s'en donnait la peine, savait produire l'ennui, néanmoins il possédait, à l'occasion, le sens de la formule et nous a laissé quelques sentences si bien trouvées qu'elles ont été adoptées et leur inventeur oublié. A quoi tient la notoriété ?...
Au nombre des formules promises à durer, Valéry avait qualifié Daumier, peintre et dessinateur du XIXème siècle, de "Michel-Ange de la caricature". Eh bien, osons le dire, Daumier a été détrôné.
Un coup de crayon aussi élégant qu'efficace, créateur de personnages reconnaissables entre tous, au point qu'un homme politique n'aurait pas été digne de ce nom s'il avait échappé à sa verve graphique, un nom survole toute la production, celui de Cabu.
Il n'y aura plus de nouveau dessin de Cabu. Les anciens sont là, imprimés, ils sont vivants, comment faire son deuil quand le mort est encore si présent ?
Voilà un mois que la rédaction de Charlie et des juifs inconnus ont été assassinés, leur mort nous a horrifiés. Nous étions submergés par la peine, l'incompréhension et la colère.
Ce fut un mois de Janvier fantomatique, peuplé d'innocents massacrés, du souvenir des exterminés d'Auschwitz aux victimes des brutes d'aujourd'hui. Parmi nous, beaucoup en ont été littéralement dévastés mais la vie est là, n'est-ce pas, elle pousse et cicatrise.
Mais feuilleter un recueil de dessins de Cabu, c'est toujours l'expérience du chagrin même si, comme à des funérailles, on ne peut s'empêcher de rire. Ce n'est pas, comme un film célèbre, "Le chagrin et la pitié". C'est le chagrin et le parti d'en rire, puis le rire seul, en attendant le retour de la peine. En reprenant les unes que Cabu avaient produites pour Charlie, j'ai revu le portrait qu'il avait dessiné à la mort de Cavanna. Il l'avait croqué en académicien, lui rendant avec humour un hommage que le rital avait mérité plus sûrement que bien des académiciens aussi peu géniaux que doués pour les ronds de jambe.
La première fois que j'ai vu ce dessin, je me suis dit "C'est un magnifique portrait mais, à sa mort, qui sera capable de rendre le même hommage à Cabu ?"
C'était il y a juste un an et personne n'aurait imaginé que la supposition se réaliserait si vite ni avec une telle cruauté.
La place est vide pour le portrait de Cabu.
Un vieux dicton nous assure que "les cimetières sont remplis d'indispensables". D'autres dessinateurs remplaceront Cabu à la une des journaux satiriques, bien sûr, mais il faudra longtemps pour qu'ils supportent la comparaison.
Cabu est bien NOTRE Michel-Ange de la caricature.