Ce temps des vacances allège les quotidiens. C'est le temps des best of, l'occasion de rappeler les heures de gloire et les grands moments, plus rarement les mauvaises affaires et les bourdes.
D'autant plus étonnant et remarquable l'article signé par Ariane Chemin et Raphaelle Bacqué dans "Le Monde" du 21 août à propos d'une tribune parue le ... 29 décembre 1978.
- Qui sait de quoi il s'agit ?
Vous donnez votre langue au chat (qui n'en demandait pas tant). Voici la réponse :
- C'est le jour maudit où "Le Monde" a publié une tribune envoyée par Robert Faurisson. C'est la date de naissance d'un négationnisme français.
Vous protestez. Il y avait, dites vous, Maurice Bardèche, Pierre Rassinier et d'autres moins connus, ils n'avaient pas attendu les élucubrations de Faurisson pour mettre en doute la destruction programmée par les nazis des Juifs d'Europe.
Vous avez raison, le négationnisme a commencé avec l'extermination, les bourreaux ont tout fait pour cacher leurs crimes, mettre en marche toute la machine de négation qui sera la cheville ouvrière de l'antisémitisme d'après Shoah. Il est des états où la haine du Juif est, en quelque-sorte, une loi fondamentale ; ils n'auraient pas eu besoin de Faurisson même s'ils lui offrent avec plaisir tribunes et tréteaux.
Alors, pourquoi souligner ce 29 décembre et faire de ce Robert Faurisson le début d'un négationnisme français ?
Parce qu'il s'agit du Monde et pas de n'importe quelle feuille-de-chou.
Tous ceux et celles que l'écriture démange savent qu'une publication ne présente pas la même valeur suivant l'organe qui l'édite, ils recherchent le prestige attaché à quelques titres dont Le Monde qui, dans la presse française, a la réputation d'être sérieux et exigeant. Les plus grands de ce monde lui adressent lettres et proclamations. Un appel qui espère être pris au sérieux doit nécessairement y être publié.
Dans un pays cartésien et rationnel comme la France, il semblait n'y avoir aucune chance pour les élucubrations d'une bande de zozos mais tout a changé avec la publication de l'un d'entre eux dans le quotidien de référence. La pensée de Faurisson devenait un objet d'étude et de débat pour les intellectuels.
Qu'est-il arrivé à ce journal de référence pour qu'il fasse une telle erreur de jugement ?
Ariane Chemin et Raphaelle Bacqué racontent les débats houleux de la conférence de rédaction. Les uns, derrière Viansson-Ponté, prévoyaient le gâchis en préparation, d'autres, à l'instar des Américains, voulaient y voir le respect de la liberté d'expression comme si le négationnisme n'était pas une des pires formes de l'antisémitisme.
Ce débat continuera à faire rage jusqu'à ce qu'il soit tranché par la loi Gayssot qui pénalisera le négationnisme.
Au "quotidien sérieux", la gravissime erreur de jugement est généralement oubliée ; on ne se vante pas de tels hauts faits. Que deux journalistes se soient livrées à cette espèce d'autocritique a quelque chose de réconfortant, mieux vaut tard que jamais.
Sommes -nous rassurés pour autant ?
Hélas, non. A la manière de la calomnie chez Beaumarchais, une fois le poison négationniste mis à jour, il se trouvera toujours des têtes assez faibles pour y succomber.