Tous les artistes recherchent la célébrité. A chacun sa méthode pour faire sonner les trompettes de la renommée. Les besogneux sans imagination cultivent l'art de bien faire et ne gagnent ni richesse ni succès car la vertu est ennuyeuse.
Le scandale ayant beaucoup plus de chances d'exciter les langues, des petits génies de la provocation montent des coups qui les feront entrer dans l'histoire. Le record du genre est détenu depuis 356 avant JC par Erostrate, un quidam grec, il incendia le temple d'Ephèse uniquement pour faire parler de lui.
Néron comptait bien lui chiper le titre mais il fut disqualifié : l'incendie de Rome faisant partie de son plan pour éliminer les chrétiens, difficile d'y voir uniquement un coup d'éclat. Même remarque pour l'incendie du Reichstag, ses auteurs étaient mus par la haine avant le désir de publicité.
Est-ce aujourd'hui que le record va tomber au profit d'Ansar Eddine ?
Ces adeptes du djihad version touareg détruisent Tombouctou, ville sainte de l'islam inscrite à l'inventaire de l'UNESCO.
D'habitude, les destructions surviennent quand une armée veut s'emparer d'un territoire. Tombouctou se trouvant déjà entre leurs mains, ils n'ont vraiment aucune raison de s'en prendre à une ville dont ils sont les maîtres. C'est aussi insensé que le geste d'Erostrate.
Ansar Eddine revendique sa proximité avec Al Qaëda.
Mais c'est bien sûr ! Al Qaëda et ses talibans afghans, les dynamiteurs de bouddhas ...
En dignes prosélytes, les casseurs de Tombouctou ne font que recopier les oeuvres de leurs maîtres. Comme eux, ils justifient leur vandalisme par une interprétation iconoclaste de l'islam ; de la non-représentation de Dieu, ils glissent allègrement vers le refus de l'image humaine, la haine des arts et de la culture, la charia vécue en terreur. Plus grand-chose à voir avec la folie narcissique d'Erostrate.
Les témoignages anciens de Tombouctou, ville sainte de l'Islam, sont le seul argument qui attire les voyageurs en ce lieu désertique. C'est toute la ville qui mourra avec sa mémoire.
C'est à propos de l'Afrique qu'était née l'expression : "Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle".Si les fous de l'ignorance continuent leurs dégâts, les deux catastrophes vont se réaliser simultanément : la fin des livres à Tombouctou signera la mort des habitants.
La crise économique dont on nous rebat les oreilles ne peut servir de prétexte à l'abandon d'une mémoire qui manquera à toute l'humanité.
Autre lieu emblématique de la joie de vivre : la Syrie. Là aussi, des musulmans s'entretuent.
Comme tout le proche Orient, le pays est riche en antiquités de toutes sortes. Non loin de Homs, de sinistre réputation, s'élève le Krak des chevaliers, haut lieu des croisades.
D'après les experts consultés, le Krak ne risque rien.
La guerre oppose des musulmans, des gens qui croient au même dieu avec quelques variantes mais la mémoire des infidèles ne leur fait ni chaud ni froid.
La paix des religions ressemble à celle des nations. Elle se complait dans la terreur et les destructions domestiques, les ennemis les plus irréconciliables sont toujours les plus proches. Nous avons connu les guerres de religion entre catholiques et protestants, elles mirent à feu et à sang l'Europe de la Renaissance et plus près de nous, l'Irlande du Nord, tous chrétiens dans la détestation d'autres chrétiens.
Suivant les temps et les lieux, les manières en usages sont différentes ? C'est peut-être l'occasion de revenir à la théorie des climats de ce vieux temporisateur de Montesquieu. Les bons textes ne sont jamais périmés.