Est-il juste que Bertrand Cantat soit réduit au silence ?
"En réduisant publiquement l'artiste à son méfait, en décidant que Cantat n'est et ne sera jamais rien d'autre que la mort de Marie Trintignant, la double peine
de cet 'élargi' confine à une mise au pilori, qui finit par devenir l'instrument d'une dictature de l'émotion, celle des victimes", juge Marie Dosé, avocate à la Cour.
Ce commentaire a le mérite de l'originalité dans le concert d'indignation (le terme est décidément à la mode) qui poursuit Bertrand Cantat.
Le public cannibale a trouvé un morceau de choix à se mettre sous la dent : un scandale dans le monde du spectacle avec son lot de confusion entre personnes et personnages.
Si vous en doutiez, Marie Trintignant n'était pas la courageuse héroïne de "Victoire ou la douleur des femmes". Le public adore confondre ; si la victime s'était rendue
célèbre en interprétant des méchantes, elle n'aurait pas suscité autant de passion en sa faveur. Ce qui n'est après tout qu'un triste fait divers devient emblématique des marottes du moment.
Il est probable que, si Marie Trintignant avait été tuée dans les années 80, l'attention se serait concentrée sur les méfaits de l'alcool et de la drogue. Vingt ans après, les passions du
public ont changé, les violences faites aux femmes ont pris le dessus. La peur est entretenue par les médias et utilisée par les populistes au gré des passions changeantes. Il ne fait pas bon
devenir un symbole de la grande phobie du moment.
A quoi bon avoir aboli la peine de mort si c'est pour condamner à une mort civile ?
La prison définitive n'existe pas et elle ne peut pas exister, dans l'intérêt du condamné (dont la foule vengeresse se fiche éperdument) et dans l'intérêt de la société ; le prisonnier sans
espoir de sortie devient une bête féroce, une menace pour tous. Il doit se projeter dans l'avenir, avoir la certitude de quitter la prison. Vieux principe de la carotte pour l'âne, il est même
nécessaire qu'il puisse raccourcir sa peine par un bon comportement.
Quand la porte s'ouvre, on attend de lui qu'il se réinsère, qu'il retrouve une place dans la société, qu'il reprenne son métier, tout ce qui fait la vie d'un citoyen comme les autres. Il a payé
sa dette à la société. Sa peine purgée, l'ancien prisonnier a droit à l'oubli.
Pourtant, ces derniers temps, le vieux principe de la sanction suivie de réinsertion est fréquemment remis en cause.
Les statistiques peuvent bien démontrer le contraire, le public voit dans chaque prisonnier libéré un récidiviste en puissance. Il accepte et demande toujours plus de prisons, des peines toujours
plus longues, une peine après la peine, absolument contraire à la notion de justice.
La justice ... Elle court un grand risque, spécialement illustré par cette affaire surmédiatisée, le poids de la parole des familiers.
Rappelons nous que la justice, depuis des temps immémoriaux, s'est imposée contre la vengeance, l'établissement de corps judiciaires professionnels permettant de dire le droit
dans l'impartialité, loin des tenants d'un conflit.
C'est une construction patiente qui a mis du temps à s'établir, encore attaquée là où règnent la vendetta et les pseudo-justices privées.
La France se dit état de droit mais sa justice est de plus en plus menacée par l'importance que certains voudraient rendre aux familles dans les affaires criminelles.
Ce n'est pas aux parents des victimes de dicter aux juges la conduite à tenir.
Que le public exprime sa compassion et son empathie aux parents blessés, quoi de plus souhaitable ?
Mais qu'il les accompagne et les pousse dans la fuite en avant de la vengeance, ce n'est plus de la justice, c'est du lynchage.
Des siècles de civilisation pour en arriver là ... Et les promoteurs de ce retour en arrière sont les mêmes qui s'insurgent contre les crimes d'honneurs et autres usages tribaux en
cours dans d'autres contrées.
Comprenne qui pourra...