Le vendredi Saint, pour les chrétiens, c'est l'anniversaire du supplice de Jésus.
En mémoire du sacrifice fondateur, les catholiques célèbrent l'Office des Ténèbres, un rituel empreint de deuil et d'émotion (heureusement ennobli par de merveilleux airs baroques comme "Les leçons de ténèbres" de M.A. Charpentier, hélas fort oubliés.)
C'est un temps fort de l'année liturgique. A Rome, l'homélie du Vendredi Saint n'est pas dite par n'importe-qui, on ménage les forces du vieux pape pour qui
ce n'est que le début du marathon pascal, mais c'est un prélat important qui se charge de porter la parole au nom de la Curie Romaine. Ce vendredi saint 2010, le travail est revenu au cardinal P.
Raniero Cantalamessa, digne représentant de la pensée pontificale et ... pontifiante.
Dans le contexte actuel, fait de honte et de repentance, on surveillait la parole de l'autorité centrale. On ne s'attendait pas à ce que le monsignore se couvrît la tête de cendres en s'abîmant dans l'affliction. Quand on parle au nom d'une Eglise Sainte, Apostolique et Romaine, on ne se départit jamais de la dignité due à son rang, mais on s'attendait à une parole chargée de sens. On voulait entendre ce que le sommet de la hiérarchie catholique avait à dire des turbulences liées aux scandales qui la poursuivaient.
Et il fut dit.
Le cardinal évoqua une lettre d'un ami juif.
Vous l'aurez certainement remarqué, la providence permet à tout raciste de faire état d'un ami appartenant à la race honnie ; il semble qu'encore une fois elle ait bien fait les choses.
Le supposé ami opérerait un parallèle entre les accusations qui s'accumulent contre les prêtres pédophiles et l'antisémitisme.
Comparaison hautement improbable, on n'imagine pas qu'un juif, même animé de la haine des siens, puisse faire le moindre rapprochement entre la persécution millénaire d'un peuple et les misérables ennuis d'un clergé qui ne risque pas grand-chose hormis sa réputation.
Il y aurait à peine de quoi hausser les épaules ... mais le peuple juif est le peuple de la mémoire. Il n'a pas oublié la persécution toujours active même si elle est plus feutrée pour cause de politiquement correct.
On ne soupçonnait pas les juifs de jouer à touche-pipi avec les gamins, on les accusait de pratiquer des crimes rituels, de sacrifier des enfants chrétiens (dans une religion sans sacrifices !) pour utiliser leur sang dans la préparation du pain azyme. Il faut être d'une crasse ignorance pour imaginer qu'on puisse incorporer du sang dans le pain, azyme ou non. Au passage, les chrétiens ne sont pas les mieux placés avec leur transsubstantiation. Peu importe, qui veut tuer son chien l'accuse d'être enragé, on n'hésite pas devant les pires invraisemblances quand on a seulement besoin d'un prétexte pour justifier l'injustifiable.
Quand ces temps barbares eurent laissé place aux lumières, il fallut trouver des tracasseries plus présentables. Le clergé se contenta de procéder à des baptêmes clandestins et des conversions forcées d'enfants juifs, ce qui lui donnait un prétexte pour les enlever à leur famille ... pour la plus grande gloire du Seigneur.
Certes, il ne faut pas oublier la Shoah qui vit des ecclésiastiques se muer en Justes. Il faut se rappeler que certains ont même veillé à ne pas éloigner leurs protégés du judaïsme. Que justice leur soit à jamais rendue, mais l'héroïsme de quelques uns ne rachète pas l'antisémitisme des autres.
Ce cardinal romain nous prend tous pour des amnésiques et des malhonnêtes.
Les catholiques, en l'écoutant, doivent se dire qu'avec des amis pareils on n'a vraiment pas besoin d'ennemis.