En ce temps-là, il était du dernier chic de soutenir la Grèce. Au dix-neuvième siècle romantique, les intellectuels, poètes et artistes, mettaient leur talent au service du peuple grec et de sa liberté.
Quand on avait eu la chance d'étudier un peu, on savait que l'Athénien antique était le précurseur du citoyen moderne et de l'homme des lumières.
Que serait la flamboyante culture que le monde entier nous envie sans la
Grèce fondatrice ?
Établir une liste complète de nos créanciers hellènes serait longue et fastidieuse, contentons-nous des plus grands.
Que seraient nos maths sans Pythagore et son théorème ?
Nos médecins, tout modernes qu'ils sont, prononcent toujours le serment d'Hippocrate.
Nos théâtres donnent toujours des comédies et des tragédies, modèles universels nés du génie toujours imité, jamais égalé, d'Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane ...
La poésie épique doit tout au grand Homère, son Illiade et son Odyssée, et les grandes écoles philosophiques sont nées des cerveaux prolifiques de Platon, Aristote ou Epicure.
La culture européenne est petite-fille d'Athènes, aucun doute possible.
Au dix-neuvième siècle, le vent des nationalités souffla sur la Grèce qui entreprit de secouer la domination ottomane. C'est alors que des intellectuels européens se rappelèrent leurs études et il surgit un intense mouvement de solidarité, assez proche, dans ses manifestations, des futures Brigades Internationales volant au secours de la République Espagnole massacrée par Franco. L'art et la littérature furent mises à contribution, Delacroix peignit les massacres de Chio, et certains n'hésitèrent pas à prendre les armes. Le plus connu est Lord Byron, un dandy aristocrate, homosexuel et porté sur le scandale mais poète flamboyant et généreux, avec un petit côté BHL du dix-neuvième. Il mourut pour la liberté de la Grèce, même s'il ne fut pas tué au combat mais terrassé par le paludisme qui infestait Missolonghi.
Démocrates et gens de lettres avaient pris le parti des Grecs, définitivement, quoique lentement ; il fallut presque deux siècles pour que la Grèce libérée intégrât l'Europe économique et politique.
Après de multiples aléas, au nombre desquels deux guerres mondiales et une dictature militaire, l'aïeule a enfin rejoint ses descendants pour expérimenter chez eux l'exploitation et les mauvais traitements.
L'Européen du vingt-et-unième siècle se moque des précurseurs, son nouveau maître est le Marché. Faire de l'argent est tout ce qui importe, au mépris de la culture et de l'éthique.
La Grèce est un pays pauvre, même si elle abrite quelques grandes fortunes. C'est même son niveau de vie modeste qui lui permet des tarifs hôteliers attractifs.
Le fameux ciel grec à pas cher, voilà de quoi faire rêver les industriels du tourisme qui aimeraient bénéficier de lourdes infrastructures sans avoir à les payer. Comment obtenir des Grecs qu'ils financent des aéroports et des autoroutes pour le plus grand profit du tourisme ?
L'imagination des gens d'affaires n'ayant pas de limites, ils ont trouvé : les jeux olympiques du millénaire.
Ils ont flatté l'orgueil des Grecs en leur rappelant les anciens jeux d'Olympie et fait miroiter des profits aussi énormes qu'illusoires et ils sont arrivés à leurs fins. La Grèce a mis le doigt dans le sur-endettement pour des grands travaux déraisonnables (rappelons que même Londres dont la puissance financière n'a rien à voir avec la pauvreté d'Athènes s'apprête à payer ses jeux pendant plus de trente ans). Ensuite, il a été facile d'alourdir la dette en faisant croire que les dépenses improductives deviendraient profitables si elles étaient complétées de tel ou tel investissement supplémentaire.
La Grèce est donc ruinée et ses soi-disant amis lui tournent le dos.
Les hommes politiques du jour n'ont rien à voir avec Byron. Notre commune civilisation ne leur parle pas.
Pour éviter qu'elle leur soit rappelée par quelques jeunots idéalistes, ils ont fait table rase de l'histoire et de la culture. Le changement des programmes scolaires a des conséquences plus graves que nos petites nostalgies culturelles.
La Grèce antique nous a transmis des chênes truffiers mais nous avons oublié le goût des truffes, donc nous les avons données en pâture à des cochons, elles sont perdues pour le monde entier.