Au moindre bobo, les gens célèbres ou puissants bénéficient d'un luxe de prévenances, à laisser rêveurs tous les hypocondriaques. Ils ne font pas la queue aux urgences, on ouvre des cliniques spécialement pour eux. La moindre indigestion les conduit en gastro-entérologie. Un faux pas, une chute, c'est l'entrée tonitruante en traumatologie. Aucune de leurs maladies ne passe inaperçue, ils ne sont plus du commun des patients, leur forme est un bijou précieux.
Vous craignez que votre petite santé soit négligée ? Devenez un malade d'importance ; finis l'angoisse et le stress.
C'est le bon côté de la situation mais il en est d'autres moins encourageants.
Même dorlotés, les Grands de ce monde finiront par mourir comme tout le monde, ... enfin, pas vraiment comme tout le monde, ils décéderont quand le moment sera venu. Ils en étaient plus ou moins conscients mais leur présence ou leur absence appartient depuis longtemps aux vautours qui les entourent. Avec ses airs de toute puissance, le vieux chef n'est maintenu en place que pour faire le nid de son successeur qui le remplacera quand il l'aura décidé.
Depuis la nuit des temps, les héritiers ne pouvaient que précipiter l'heure de la mort, les outils manquaient pour reculer l'échéance. Avec le progrès des techniques médicales, apparaissent des marges nouvelles ; des moribonds survivent, raccordés à des machines. Quand leur existence ne sert plus à personne, il suffit de débrancher ... et les héritiers ne se privent pas de manipuler la machine.
Ils s'en privent même si peu que les dernières décennies sont jalonnées de leurs exploits.
Nous avons connu la fin à épisodes de Franco, parti un morceau à la fois. La succession devait poser tant de problèmes qu'il a fallu faire survivre sa carcasse au delà du raisonnable. Lui-même avait causé, sans états d'âme, tant de morts et de souffrances qu'il ne s'est pas trouvé grand monde pour le plaindre mais il y avait tout lieu de craindre que le même sort attende d'autres hommes d'état pas forcément monstrueux.
Boumediene, Tito, ont connu le même genre d'épreuves. Même s'ils n'étaient pas des parangons de démocratie, leur mort a confirmé les craintes nées avec Franco, le public hésitait entre agacement et pitié.
Des exemples, on pourrait en citer une foule. Définitivement, les hommes célèbres semblent jouer leur mort sur une scène d'opéra ; comme une diva, ils n'en finissent pas de finir. Si le dernier acte ne dure pas assez longtemps, le public floué proteste. Arafat ne pouvait pas quitter la scène avant que ses héritiers aient fini de s'étriper. Qu'à cela ne tienne, ses communicants ont trouvé de quoi soulever la foule : le héros a été forcément empoisonné. Au passage, ils écartaient d'un revers de main la part gênante du diagnostic, le foie d'un musulman détruit par une cirrhose ... le peuple aurait pu avoir des doutes.
Aujourd'hui, des échos pénibles nous arrivent d'Afrique du Sud. La famille de Nelson Mandela se déchire l'héritage sans attendre la mort du héros. Une fin "bricolée" pour laisser des vautours s'entretuer, il aurait mérité plus de respect et d'humanité.
L'évocation pénible de ces fins d'hommes célèbres, voilà au moins, une consolation pour les recalés de la gloire. "Pour vivre heureux, vivons cachés", pour mourir aussi.