Un encart Nord dans le Monde, ce matin, nous rappelle que la grande attraction du futur LOUVRE LENS sera "La Liberté guidant le peuple" de Delacroix.
Désolant...
J'imagine les protestations des indignés en tous genres, des moralistes et des censeurs. A leurs yeux, l'arrivée du tableau dans les mines du Pas-de-Calais rétablirait la justice ; pourquoi l'art serait-il un monopole la capitale ?
Qu'ils se rassurent, personne ne songe à dénigrer la région et je l'affirme avec Aragon, vouloir la culture populaire, c'est penser que le peuple mérite le meilleur. L'ouvrier (ou le chômeur) lensois a le droit de poser son regard sur les oeuvres d'art les plus prestigieuses.
Ah ! S'il était question d'exposer "La Liberté guidant le peuple", il faudrait applaudir sans réserve mais le projet n'est pas celui-là, il s'agit de l'installer à demeure à Lens, d'y poser, en quelque sorte, son domicile.
Or, rien dans ce tableau n'évoque le pays lensois. On y voit une scène de la vie parisienne, une barricades des Trois Glorieuses et un gamin en qui tout spectateur reconnaît Gavroche... bien loin du Pas-de-Calais.
Ce gamin de Paris serait mieux chez lui ; il ne doit pas être très difficile de le remplacer par un autre tableau moins évocateur qui supporterait mieux le déplacement.
Les gens du Nord lui sont déjà fort attachés, très honorés de la venue de cette Liberté. Il leur sera bien difficile
de supposer à ce choix des motifs moins prestigieux.
Et pourtant ...
En art aussi, la mode fluctue et Delacroix n'a plus la cote, comme tous les peintres en grandes fresques historiques. Bien sûr, ses tableaux sont inestimables, invendables, mais ils sont regardés comme les témoignages d'une époque, des documents. Les amateurs d'art parisiens n'ont plus un regard pour ces tableaux facilement qualifiés de "pompiers", ils ne protesteront pas au départ d'un Delacroix.
Et voilà comment un gamin de Paris aura le droit d'être exilé hors du pays natal, dans une région où il n'a pas de sens..