A la demande générale, désireux de rassurer les angoissés et autres inquiets, Panda nous livre ses impressions.
Roulé en boule dans le fauteuil près de son bureau où elle pianote en me guettant du coin de l'oeil, il faut que je vous dise :
Ma vie a changé ; la leur aussi... mais chacun pour soi.
Depuis l'hiver, il se passait des trucs bizarres, je ne comprenais pas tout et c'était agaçant.
Elle qui déteste qu'on change le moindre objet de place, elle s'est mise à tout bousculer.
Ils ont rapporté plein de cartons, je croyais qu'ils avaient enfin pensé à moi, pour un chat normalement constitué, un château de caisses empilées, c'est mieux que le palais de la belle au bois dormant, mais déception, ce n'était pas pour moi. Après m'avoir chassé de ses cartons, elle s'est mise à y entasser tout le contenu des meubles.
Au fur et à mesure qu'ils étaient remplis, ils disparaissaient. Jour après jour, la maison se vidait, je commençais à ne plus oser traverser la salle à manger, elle résonnait terriblement et me faisait peur.
Et puis, vint le soir fatidique.
Sans se fâcher, curieusement, ils m'ont laissé grimper sur la table de la cuisine, j'ai même eu droit à quelques douceurs interdites : lichettes de beurre, reste du bifteck dans son assiette, et ma vigilance endormie, ils m'ont enfermé dans le panier-ambulance. J'aurais dû me méfier, quand ce panier est dans les parages, c'est toujours mauvais signe pour moi ; en général, je me retrouve chez Madame-véto au milieu des odeurs repoussantes semées par des chiens et chats étrangers. Je n'en sors jamais sans une piqûre, arrosé de produit chimique puant. Autant dire que j'ai une dent contre ce panier.
Bon, j'aurais dû le voir, j'ai manqué d'attention, bien fait pour moi. Ils m'ont déposé dans le coffre de la voiture et nous avons roulé. C'était beaucoup plus long que pour aller chez Madame-véto, j'aurais dû reprendre espoir mais le coeur n'y était pas. Nous les chats, comme on vous l'a déjà dit, nous sommes très casaniers et nous détestons l'imprévu et l'aventure, j'ai donc pris le parti de pousser des cris déchirants à chaque virage et il y en avait beaucoup...
Enfin, la voiture s'est arrêtée et ils ont déposé mon panier dans une maison que je ne connaissais pas. Dès qu'ils ont ouvert le couvercle, j'ai surgi hors de cette boîte maudite, comptant bien filer. Hélas, ils avaient pris la précaution de fermer portes et fenêtres avant de me libérer, j'avais l'air un peu stupide de celui qui s'est fait posséder et qui ne comprend pas tout.
Mais, heureux hasard, dans ce lieu étranger, il y avait mes affaires, ces cartons qu'on m'avait subtilisés avant que j'aie eu le temps de les annexer, et là, non seulement on ne me les enlevait pas mais on m'encourageait à les coloniser. Je commençais à me rassurer et j'adoptai le parti de cesser les hurlements. Faisant contre-mauvaise-fortune-bon-coeur, j'ai entrepris de visiter la maison. Elle est plus petite que l'autre mais, dans celle-ci, il n'y a pas de pièce interdite, j'ai le droit de circuler partout donc la visite est déjà un beau programme pour un petit chat peureux.
Avantage considérable : alors que, dans mon ancienne maison, la chambre à coucher m'était interdite, j'ai eu le droit de passer la première nuit avec eux. Craignant d'être chassé si je les réveillais, il m'a semblé prudent d'être extrêmement sage et nous avons bien dormi à trois... sur le clic-clac, ce n'était encore jamais arrivé. Le lit n'était pas là, non plus que bien d'autres meubles ; ils n'arriveront que le lendemain, me créant à nouveau des émotions.
Le matin, la journée commence bien, j'ai droit à mon petit déjeuner préféré : des petites boulettes en gelée ... en double ration. Curieusement, l'assiette de délices est déposée à la cave, la gourmandise est un vilain défaut, je ne me suis pas méfié. Pendant que j'avale goulûment mon repas, j'entends la porte qui se ferme, elle restera bouclée jusqu'au soir. Ils avaient bien prévu leur coup, mon bac à litière était aussi à la cave. J'ai eu beau donner de la voix, rien à faire. De toute façon, dans la maison, le boucan me faisait concurrence ; c'est le soir, une fois libéré, que j'ai compris : les meubles étaient arrivés. Les déménageurs ont passé la journée à ouvrir et fermer des portes, il n'était pas question de circuler entre leurs pieds.
Le soir, donc, je suis sorti du cachot mais je n'ai pas retrouvé ma liberté. Moi qui avais l'habitude d'aller et venir à ma guise de l'intérieur à la cour, j'étais enfermé. J'ai presque désespéré, je croyais ne jamais revoir le grand air. Enfin, après une semaine où je m'étais habitué à la maison devenue Ma maison, une porte s'est ouverte sur la cour.
Prudemment, j'ai observé les environs : un espace clos d'une haie, impeccable pour se faire un couloir protégé : mon tunnel,
pas de rue avec des voitures, c'est une sécurité,
des oiseaux, c'est une distraction de les surveiller à défaut de les croquer.
Les chats sont nombreux dans le quartier ; évidemment, certains en veulent à mon assiette et urinent sur mes affaires pour essayer de m'intimider. Heureusement, tous ne sont pas aussi mal élevés, je me suis fait un copain, un tigré, parfait chat de gouttière mais pacifique, bonasse, comme elle dit. Ce n'est pas toujours dans le grand monde qu'on se fait les meilleurs amis.
Oui, c'est bien parti pour une vraie vie de chat.