Ici, il ne sera question ni du mal-nommé "mariage gay" ni du Mali, une foule de commentateurs compétents s'en occupent ailleurs. Non, soyons originaux, limite excentriques, ayons une petite pensée pour ceux qui n'intéressent personne depuis longtemps.
Trois militantes kurdes assassinées à Paris. Le simple passant dit que c'est triste. Il est poli mais, en fin de compte, il s'en moque ; tout le monde se moque des Kurdes et du Kurdistan. Dommage.
Une carte suffit à présenter le problème, la question kurde est géopolitique.
Ce peuple est éclaté entre 4 pays, laTurquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran, quatre riantes contrées réputées pour leur ambiance de paix et de tolérance.
Les Kurdes ne sont pas des Turcs ni des Arabes. Leur langue et, plus généralement, leur culture sont un héritage lointain des Mèdes de l'antiquité. La plupart sont musulmans, un Islam très couleur locale, mais on trouve aussi chez eux des juifs, des chrétiens et quelques ilôts de cultes anciens comme les zoroastriens. Ils sont sont minoritaires et, comme tels, discriminés dans tous les pays où ils vivent, surtout en Turquie où une répression féroce leur interdit toute expression communautaire, leur langue ne peut être enseignée ni même parlée. Très logiquement, lassés de se voir refuser le moindre commencement d'autonomie linguistique et culturelle, des groupes d'activistes kurdes revendiquent l'indépendance et ont pris les armes contre le pouvoir central.
Pour l'instant, les plus veinards sont les kurdes irakiens. De Saddam Hussein, ils ont subi, dans l'indifférence générale, discrimination et destruction massive par des armes chimiques. Bush et Blair se sont avisés du massacre quand il n'était plus à la mode de l'évoquer. Ce fut la guerre d'Irak, un fiasco porteur, toutefois, d'un résultat favorable : la naissance d'une région autonome pour les kurdes irakiens. L'affaire semblait, avant tout, pourvoyeuse de ruines à déblayer, mais voilà le miracle : les hydrocarbures. Dans cette terre dévastée, il suffit de faire un trou pour tomber sur du gaz ou du pétrole. Les Kurdes irakiens, autrefois pauvres donc méprisés, sont à présent courtisés comme tous les gens riches. Ces Kurdes-là ont toutes les chances d'améliorer leur sort, mais les autres ?
Officiellement, il y aurait des discussions entre le gouvernement turc et les organisations kurdes. Ce n'est que le début d'un commencement ; quel débat peut-on attendre entre un pouvoir et une opposition quand le premier maintient en prison le principal représentant de la seconde ? Les meurtres commis à Paris ont-ils un rapport avec ces tentatives de négociation? L'enquête le dira peut-être.
Certes, Öcalan, le chef du PKK, n'est pas un enfant de choeur. Un grand nombre d'états le considèrent comme un terroriste, sans doute avec raison, mais le peuple kurde est-il, pour autant, condamné dans son ensemble à la négation de ses droits les plus élémentaires ?
Et les Grandes Consciences n'y trouvent rien à redire, elles se taisent.
La différence de traitement est flagrante entre les kurdes et les palestiniens.
Oubliés le passé terroriste de l'OLP, les démocrates de tous les pays réclament à cor et à cri un état palestinien. En revanche, le peuple kurde peut toujours patienter... et sa colère étonne ?
Pour lui avoir refusé le droit d'exister dans les pays où il est divisé, il ne faudra pas s'étonner de voir monter la revendication d'un Kurdistan unifié. Après tout, ce peuple a une langue, une culture, une histoire ; il a même un héros national, le glorieux Saladin, celui qui a repris aux croisés la Jérusalem que les Turcs avaient perdue. On a fondé des nations à partir de moins.
Mais cette nation-là donnerait des cauchemars à beaucoup. Les prochaines crises, changement climatique aidant, seront des crises de l'eau. Le Kurdistan, point haut à la source des fleuves, serait le château d'eau du Moyen Orient donc le maître d'une ressource rare et convoitée.
C'est ainsi que des pauvres sans terre ni influence font trembler les états les plus puissants.