On déménage, c'est de saison.
On vide des camps de roms, ils sont priés d'aller voir ailleurs.
Un peu vexés, les associatifs encaissent les « on vous l'avait bien dit », obligés de reconnaître que, de droite ou de gauche, un ministre de l'Intérieur est un ministre de l'Intérieur. Comme il se doit, l'indignation du Français normal n'ira pas au delà des commentaires aussi navrés qu'impuissants.
Qu'on se le dise, personne ne lèvera le petit doigt pour changer le sort d'un « romano » ; des exterminés de la seconde guerre mondiale, ils sont les plus oubliés, sans remord ni regret.
Et ce n'est pas nouveau. Qu'on les appelle bohémiens, romanichels, gitans, depuis des siècles, ils sont au nombre des réprouvés, partageant avec les juifs le statut peu enviable de boucs émissaires et un autre point commun : ils ne sont pas du coin. S'il peut arriver que le juif errant se fixe, les gens du voyage sont mobiles par essence, ce sont des nomades. Les défenseurs des roms insistent sur leur désir de s'installer mais le changement d'image n'est pas acquis. Pour les européens, ils sont des errants sans attache, un danger pour le mode de vie majoritaire.
Depuis le fin-fond des temps néolithiques, il est un conflit aussi permanent qu'irréductible, celui qui oppose nomades et sédentaires, la liberté de mouvement contre le droit de propriété. Dans un monde sédentaire, la terre et ses produits appartiennent toujours à quelqu'un et, dans la traversée désinvolte des nomades, le propriétaire voit une invasion, réaction qui évoque celle des agriculteurs confrontés aux déplacements de la faune sauvage.
Peut-être croyez-vous à la modernité du phénomène ? Pas du tout.
La première manifestation du conflit cultivateur sédentaire / éleveur nomade ne remonte jamais qu'à la querelle entre Caïn et Abel, autant dire un fait divers récent. Le cultivateur Caïn offrit à Dieu ses plus belles gerbes ; Abel, le berger, fit de même avec ses plus beaux agneaux. Dieu, sans doute plus carnivore que végétarien, préféra l'offrande d'Abel. Fou de rage et de jalousie, Caïn se vengea en tuant le chouchou. La guerre était déclarée et elle dure encore.
Cette histoire des origines a la valeur des mythes, celle d'un constat. Elle nous dit l'ancienneté d'un conflit.
Et les mythes ont la vie dure.
Le Père Hugo avait beau écrire "L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn", le sédentaire n'éprouve pas de scrupule particulier à l'égard du nomade, il est certain de son bon droit.
Pour faire entrer les nomades dans la modernité et les rendre acceptables, faut-il, en niant leur culture, les sédentariser ?
Pour y parvenir, leur donner la chasse est-il un bon moyen ?
Je ne sais pas pour vous mais, moi, j'en doute.