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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 18:57

    Le 31 octobre, c'est la fête des casse-pieds juniors.

    Abandonnez tout espoir de vous concentrer, vous vivrez au rythme des coups de sonnette. 

Vous laissez choir vos travaux et vous ouvrez la porte, un peu agacée, mais vous essayez de rester aimable, ce sont des enfants... Enfin, c'est ce que vous croyez deviner sous les couches de maquillage.

Ils aimeraient vous faire peur. Vous n'êtes pas du tout impressionnée mais vous plaignez de tout cœur la pauvre mère qui devra les récurer ...

    Avec ou sans "S'il vous plait", la politesse est en option, ils réclament des bonbons.

   Ils savent ce qu'ils veulent mais ne sont pas capables d'expliquer à quoi rime ce carnaval d'horreurs.

Les plus grands arrivent à prononcer correctement le mot "Halloween" mais ne comptez pas sur eux pour vous en expliquer le sens.

Ils ont adopté Halloweeen comme le fast food et Disney, parce qu'ils les croient à la mode. Ils sont bien loin d'imaginer que ce jour supposé américain n'est qu'une resucée de nos vieilles fêtes des défunts. Destinées à conjurer la mort, elles avaient quitté notre univers et les voilà revenues, plus artificielles, moins liées à la tradition... à moins que notre regard ne soit abusé par la nostalgie. Après tout, ce n'est pas impossible.

    Dès les années 1950, dans mon Hainaut natal, elles avaient presque disparu, il n'en reste qu'un très lointain souvenir. Laissons-le revenir à la surface.

     Le calendrier religieux imposait ses dates. Pour les catholiques, le jour des morts n'est pas célébré le 31 Octobre mais le 2 novembre, lendemain de la Toussaint. Ce jour-là, nos mères ne nous demandaient pas notre accord. D'autorité, elles nous emmenaient au cimetière pour soigner les tombes, y déposer des pots de chrysanthèmes ou les enlever en cas de gelée.

    C'était une corvée, nous étions heureux d'y échapper quand, par chance, le 2 Novembre tombait un jour de classe, mais l'épreuve avait une compensation à la mi-novembre, une espèce de carnaval d'automne tout en betteraves et chandelles.

   Chaque participant se procurait un sac à pommes de terre en toile de jute et une betterave à sucre bien blanche, la plus lourde possible. Il se fabriquait une bougie en fondant autour d'un bout de ficelle les débris de cierges ramassés à l'église. Ensuite, il fallait user de diplomatie auprès du père ou du grand-père pour lui emprunter un couteau solide, nécessaire pour la partie la plus délicate de l'exercice. Plus la betterave était grosse, plus elle était compacte et dure à creuser. Il fallait de la force et de l'habileté pour y faire un trou, c'était impossible avec un canif.

Ce n'était pas une petite affaire de convaincre les parents, ils hésitaient à nous confier ce "grand couteau-là, celui qui coupe bien...". Un vieux mettait fin aux négociations en nous apportant son aide, il n'était pas vraiment rassuré de voir des enfants risquer de se blesser et, au fond, il était ravi de retrouver ses plaisirs de jeunesse. L'exercice pouvait commencer.

   Après avoir nettoyé la betterave, il fallait la débarrasser des petites racines, puis nous en tranchions le collet pour la poser pointe en haut. Ensuite, il fallait l'évider ; un éclat à la fois, nous creusions. Plus le trou était vaste, plus la coque était amincie sans céder, plus le travail était réussi. Point final, découper délicatement des yeux et une bouche. La betterave s'était changée en tête. A sa base, on fixait le sac de jute, pour former une espèce de vêtement. 

    Quand toutes les têtes étaient finies, les participants formaient le cercle. C'était l'heure de vérité, on allumait les betteraves maintenant appelées spectres. Chacun enflammait sa bougie et l'introduisait dans la tête. C'était l'instant crucial pour les spectres ratés ; si la betterave n'était pas assez creuse, si les orifices des yeux et de la bouche n'apportaient pas assez d'air, la flamme s'étouffait immédiatement et la dépouille lamentable finissait sa brève carrière à nourrir le bétail.

   Quant-aux spectres réussis, c'était, pour eux, l'heure de gloire. La tête, rendue vaguement translucide prenait une teinte verdâtre des plus inquiètantes. Les yeux et la bouche montraient leur feu et laissaient échapper des volutes de fumée sucrée, la pulpe de betterave en brûlant, suintait de la mélasse qui caramélisait.

    Le gagnant était celui qui brûlait le plus longtemps mais il ne laissait qu'une pauvre dépouille racornie qui finissait sur le tas de fumier.

    De ces réunions de spectres, des années après, il reste un souvenir facile à retrouver, ce n'est pas une image mais une odeur sucrée qui revient chaque fois qu'on cuit une pâtisserie.

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commentaires

C
<br /> Une revenante pour un "halloween" nordiste, quoi de plus adéquat, isn't it ? Bravo pour ce superbe texte, émouvant, instructif (j'ignorais tout des cette ancienne coutume), passionnant et<br /> superbement écrit. Bon week-end et amitiés de nous quatre. Caresses au roi Panda.<br />
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T
<br /> <br /> Sa majesté Panda est heureux de tes caresses. Nous sommes ravis de ton retour.<br /> <br /> <br /> <br />
U
<br /> C'est marrant, je n'ai pas le souvenir de cette coutume par chez nous où la Toussaint était synonyme de chrysanthémes, uniquement de chrysanthémes. C'est picard ou chti ? Quoiqu'il en soit,<br /> délicieux moment de lecture !   <br />
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T
<br /> <br /> Je crois que, dans mon enfance, entre Valenciennes et Le Quesnoy, la coutume était déjà en voie de perdition. Quelques vieux paysans s'acharnaient à la transmettre aux enfants mais on peut dire<br /> que c'était la fin.<br /> <br /> <br /> Merci de ton attention.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> J'aime cette histoire. Elle est de surcroît bien écrite - comme d'habitude !<br />
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T
<br /> <br /> Merci de ton indulgence. J'ai bien cru ne pas en voir le bout. Un texte commencé le 31 octobre (d'où le début..) fini le 6 novembre, un record ! Et après cela, on dira que les retraités ont du<br /> temps <br /> <br /> <br /> <br />

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