Ils sont agaçants, les humains.
Il faut absolument que je vous raconte leur dernière tracasserie : ils ne veulent plus m'ouvrir la porte. A les entendre, je manquerais de décision et ils en auraient assez. Ils ne trouvent pas normal que je change d'avis dix fois dans la demie heure, alors que c'est, à mon sens, amplement justifié.
Je demande à sortir, j'ai le droit de me dégourdir les pattes, non ?
A peine suis-je dehors qu'un chien aboie dans le voisinage ; mes oreilles sensibles ne supportent pas une telle cacophonie. Je lance un appel d'urgence, on m'ouvre et je me réfugie à l'intérieur où l'ennui me rejoint immédiatement.
Le tintamarre canin ayant cessé, je prends le parti de ressortir mais, très vite, des bruits de vaisselle en provenance de la cuisine me signalent une activité de première importance : la préparation du repas qui ne saurait avoir lieu sans moi. J'insiste pour entrer, on m'ouvre, je me précipite aux pieds de mon humaine en poussant des miaulements qui ne souffrent aucun refus. Je fais des ronds entre ses pieds au risque de la faire tomber jusqu'à ce qu'elle daigne me distribuer quelques morceaux de choix. Pauvre naïve, elle espère qu'en les déposant dehors, elle aura gagné un moment de tranquillité, c'est compter sans le ciel.
Voilà une averse. Chacun sait que nous, les chats, sommes brouillés avec l'eau ; très logiquement, je pousse un cri aussi impérieux que strident, la porte s'ouvre et ainsi de suite...
Tout le monde se lamente à cause du chômage. Eh bien, moi, je suis un créateur d'emploi, celui de portier qui m'est absolument nécessaire.
Au début, ils sont très complaisants, pleins d'égards à mon endroit, mais ils ne tardent pas à se rebiffer et ne s'exécutent qu'en maugréant.
Évidemment, ils n'ont pas tardé à trouver une solution.
Ils se sont rappelés que, dans mon ancienne maison, il y avait une chatière, une porte battante juste à ma taille. J'entrais et sortais sans rien leur demander. C'est bien utile mais le procédé manque de charme, c'est si bon de demander et obtenir.
Je suis un petit tyran mais un si joli tyran ! A voir mon regard bleu confiant et implorant, il faut avoir un coeur de pierre pour résister.
Eh bien, ils ont choisi de résister, ils ont installé une chatière dans ma nouvelle maison.
Un soir, il est rentré avec un paquet plat qu'il a montré à sa femme et il m'a regardé en rigolant, son forfait était prémédité... Le lendemain, après le déjeuner, Tonton est arrivé, j'étais tout content. D'habitude, il s'installe dans le canapé sans bouger, je grimpe sur ses genoux, c'est un vrai spécialiste en papouilles et autres grattages de chat. Ce jour là, j'ai attendu vainement ma séance de câlins, mon humain et lui ont entrepris de démonter une porte de la cuisine puis ils y ont découpé un trou. Je me suis sauvé à cause du bruit et, à mon retour, la porte était revenue à sa place. Le trou était bouché par une chatière ; c'était donc ça, le paquet qui le faisait rigoler !
Il me fallait trouver une réponse convenable à cet affront manifeste.
J'ai fait l'andouille. J'ai adopté l'air complètement abruti de celui qui ne comprend pas à quoi ce machin peut servir, alors que j'en ai utilisé une pendant plus de dix ans. Comme s'ils ne savaient pas que notre mémoire est absolument exceptionnelle, ils ont mis tout leur coeur à essayer de m'apprendre le fonctionnement de cette trappe à chats. Chacun leur tour, ils la tapotaient en m'appelant avec un sourire idiot pour que je comprenne bien que cette porte m'appartient et qu'elle va me simplifier la vie.
Las, rien de plus bête que celui qui ne veut pas comprendre. En gardant l'air stupide et fermé, j'ai fait semblant de me désintéresser du nouveau jouet et, j'ai entrepris comme un travail urgent l'inspection de la cour. Reportant mon apprentissage à plus tard, ils sont retournés à leurs occupations.
C'est là que ma vieille ennemie, la pluie, m'a joué un des mauvais tours dont elle est coutumière, l'averse a éclaté et a vaincu mon entêtement. Elles étaient fortes les résolutions que j'avais prises, mais pas au point de me tremper les os. Toute honte bue, j'ai foncé dans leur maudite chatière.
Ils ont ri en m'accueillant dans la cuisine et, grand seigneur, pour manifester mon désir de faire la paix, j'ai daigné accepter un morceau du dos de cabillaud qu'elle était en train de préparer.
Il faut savoir être souple avec le personnel.