Toutes les filles l'ont entendu répéter dès leur enfance "Pour être belle, il faut souffrir" ; c'était l'argument préféré des mères au moment du démêlage des cheveux, rude
épreuve qui faisait envier la brosse rase des garçons. A cet âge, aucune ambition esthétique ne justifie la douleur, mais, très vite et parfois dès la petite enfance, le genre féminin est disposé
à supporter tous les sacrifices dans l'espoir d'embellir.
Les féministes parlent d'aliénation au désir du mâle. Jugement discutable ; à moins d'être, lui-même, soumis au diktat des apparences, l'homme est le plus souvent porté à
tourner en ridicule les acharnées de la mode et les obsédées de la balance. Régine, reine de la nuit, un peu experte dans le domaine, disait "Les hommes sortent avec les minces mais
ils rentrent avec les rondes". Une chanson ne célèbre-t'elle pas celles- qui
"auront appris
la cuisine
qui retient les petits maris
qui s'débinent".
Bref, rien n'est simple, chacune doit se débrouiller avec des injonctions contradictoires. La quadrature du cercle, en l'espèce, réside dans le désir d'être très mince, à la limite
de la maigreur, en arborant des rondeurs là où il faut, c'est à dire une poitrine avantageuse.
Toutes celles, et elles sont nombreuses, qui ont, un jour, sacrifié au rite du régime savent que la première graisse à disparaître est celle des seins ; difficile de maigrir sans perdre ses
appâts.
Après un Moyen-Âge confortable et fonctionnel où le corps et son vêtement s'adaptaient aux nécessités du mouvement (homme ou femme devait être capable de monter à cheval), la
Renaissance vit apparaître le modelage de la forme par le costume. Il fallait imiter des princesses royales épousées pour leur argent mais souvent chétives ou contrefaites. Ce fut
l'éclosion des fraises et des corsets. Des siècles durant, pour affiner leur taille, les dodues ont porté une redoutable cuirasse, pendant que les maigres rembourraient leur corsage. L'illusion
était pénible et médiocre.
En 1847, c'est la naissance de l'anesthésie qui se perfectionne rapidement, ouvrant à la chirurgie un avenir grandiose. On va pouvoir pratiquer des interventions où, sans elle, la
douleur aurait tué le patient. La guerre de 14-18 et ses nombreuses gueules cassées vont lui procurer un vaste choix de cobayes. Quelques as du scalpel, plus aventureux et méticuleux que la
moyenne, ne vont pas se contenter de réparer le fonctionnel, ils vont s'efforcer d'améliorer l'aspect des résultats. De la chirurgie réparatrice, on passe à la chirurgie esthétique.
Le vieux dicton est renvoyé aux poubelles de l'histoire, il n'est plus nécessaire de souffrir pour être belle. De son côté, la chimie, agacée de se voir supplantée par la
chirurgie, se met en quatre pour séduire, proposer d'autres voies d'accès à la beauté. En fin de compte, le scalpel et l'éprouvette se partagent le marché.
Qui dit marché dit argent, substance qui se marie difficilement à la santé, et les problèmes ne vont pas tarder.
L'immense majorité des insatisfaites de leur corps voudraient maigrir. La solution est à la fois simple et difficile : il faut réduire l'apport calorique, manger moins ; plus
facile à dire qu'à exécuter.
La chirurgie de l'amaigrissement existe : elle limite la contenance de l'estomac pour couper l'appétit. Le procédé, jugé barbare, ne trouve ses adeptes que chez les vrais obèses qui ont beaucoup
de kilos à perdre. Pour les autres, des apprentis-sorciers de la pharmacie ont inventé différentes pilules-miracle dénommées coupe-faim.
A supposer que les kilos maudits aient disparu, la course à la beauté n'est pas terminée ; notre sac d'os a perdu sa poitrine.
Va-t'elle opter pour la reprise de la graisse perdue ? Évidemment, non.
Place à l'association du chirurgien et du chimiste, l'un va poser à l'intérieur du sein une prothèse que l'autre lui aura fournie.
Tout le monde devrait se réjouir, la patiente a la poitrine qu'elle attendait et les auteurs de sa transformation comptent leurs bénéfices. C'est oublier un peu vite que la santé ne se laisse pas
réduire au silence pour le profit de quelques-uns ; elle se venge.
Les séduisants coupe-faim s'avèrent toxiques et les prothèses mammaires ont une fâcheuse tendance à disperser leur chimie dans un organisme qui les rejette.
Des écervelées sont capables de mettre leur vie en danger pour une beauté même pas garantie, et le monde s'indigne, horrifié : "Comment peut-on jouer avec la santé des gens,
uniquement pour de l'argent ?"
Que la motivation du professionnel de santé soit l'argent ou la gloriole, il faut lui rappeler qu'il a prêté le serment d'Hippocrate dont les premiers mots sont un
engagement moral : Non nocere, ne pas nuire.
Protéger, c'est aussi refuser d'accéder à un caprice déraisonnable