Est-ce un abus de langage ? Les soulèvements populaires de Tunisie et d'Egypte sont généralement qualifiés de Révolution.
Ceux qui les regardent avec bienveillance pourraient se servir d'un autre mot, ils leur épargneraient un rapprochement fatal avec les révolutions du globe terrestre : il effectue un tour complet
pour se retrouver dans la même position. En leur souhaitant d'échapper à ce destin funeste, donnons au terme "révolution" le sens courant de bouleversement amenant un changement de
régime politique.
D'aucuns n'hésitent pas à rappeler le dialogue du 15 juillet 1789 entre Louis XVI et La Rochefoucauld. Évoquant la prise de la Bastille, le roi interroge : "C'est une révolte
?" et son interlocuteur de répondre :"non, Sire, c'est une révolution". La réplique connaîtra un certain succès ; néanmoins, sens de la formule ne veut pas dire exactitude, La
Rochefoucauld s'est "planté".
Peu de révolutions se sont passées de soulèvement populaire mais l'élément décisif ne réside pas dans les mouvements de foule. Le déferlement des Parisiens affamés et surexcités
contre une prison mal défendue n'aurait pas suffi à faire tomber la monarchie. N'en déplaise aux adorateurs de symboles, la Révolution Française n'a pas eu lieu le 14 juillet 1789. Elle doit
beaucoup plus à la nuit du 4 août 1789, nuit de l'abolition des privilèges. Et ce n'était qu'un début, la consolidation du changement a pris un siècle entrecoupé d'épisodes d'empire et de
royauté.
La remarque vaut pour tous les pays. Le coeur aime se rappeler le cuirassé Potemkine, les soldats fraternisant avec les mutins. Le talent considérable d'Eisenstein et la chanson de
Jean Ferrat y sont pour beaucoup, mais une mutinerie n'a rien changé à la domination des tzars. Il faudra encore des années pour assister à la Révolution d'Octobre, beaucoup moins romantique mais
soigneusement préparée de l'étranger par un parti communiste clandestin très organisé. Il avait formé des cadres prêts à diriger le pays.
Nous fondant sur l'expérience des révolutions passées, il faudrait attendre qu'émerge un nouveau régime.
Mais aurons nous le temps ?
Les charognards ne vont pas manquer pour dépecer des états en ruine.
Le meilleur morceau, comme d'habitude reviendra aux plus forts, à ceux qui auront tout prévu et se seront donné les armes politiques. Que vont peser les jeunes inorganisés, volontairement
inorganisés par exigence de démocratie, face à l'expérience des vieux partis, les moyens des armées et le poids des religieux ? Leur avenir donne plus de souci que d'assurance.
On aimerait les aider mais comment ?
De récentes aventures nous ont rendus prudents ; le droit d'ingérence a fait long feu. De toute façon, dans une ancienne colonie, il n'est pas question d'amener notre solution. La démarche
paraîtrait, à juste titre, déplacée.
On ne va pas non plus leur envoyer des Brigades Internationales qui s'enliseraient dans des luttes où il y a plus à perdre qu'à gagner. Guevara mourant en Bolivie n'est plus un exemple. Alors que
faire ?
Rien, nothing, nada !
C'est affreusement agaçant, tellement contraire à nos généreuses bouffées d'altruisme, mais il faut accepter de nous incliner devant la raison.
Les naissances prématurées sont toujours porteuses de risques.
La révolution naîtra comme la vie quand elle sera prête.