Il y a peu, j'ai reçu de Patrick cette communication, autour d'une interrogation morale qui ne peut pas laisser indifférent(e). C'était à la suite de l'acquittement de Mme B., meurtrière de sa
fille lourdement handicapée.
"Un événement m'a choqué cette semaine: l'acquittement de cette pauvre femme
qui a donné la mort à son "enfant" âgée de 26 ans. Certes il ne fallait pas
emprisonner cette femme. Nous devons admettre une multitude de circonstances
atténuantes: la lourdeur à s'occuper d'une personne ayant un handicap
majeur, l'abandon d'une société incapable d'aider à la fois les malades
handicapés et les aidants, le désarroi, une dépression latente...etc.
Néanmoins, il s'agissait d'une personne qui malgré la souffrance et le
handicap, était Humaine. Elle n'avait pas demandé quoique ce soit. Aucune
amalgame ne peut être fait avec le droit à mourir, il n'y a ici aucun
rapport, encore moins avec le contexte de la loi Léonetti.
J'aurais tout de même voulu une peine avec sursis par exemple mais que cette
personne soit tout de même reconnue comme coupable ce que nous sommes
obligés d'appeler un crime ! Au lieu de tout celà, je n'ai entendu que des
applaudissements !! Des éloges et on a même parlé du courage des jurés !
Aucun commentaire ou très peu dans la presse, encore moins du corps médical
(j'ai un peu honte !). Quelle belle porte de sortie pour notre société, cela
va faciliter des décisions politiques finalement qu'il n'y ait eu aucune
réaction...A quel degré on va considérer qu'il y a au moins une faute ?
Peut-être que pour des handicapés, il ne faudra plus parler de crime ? Il
faut redéfinir le crime ? Demain, quels autres handicapés, les patients
atteints de maladie d'Alzheimer ? Les autres maladies qui dérangent..."
Patrick
Et ma réponse :
La facilité avec laquelle le monde accepte le meurtre des personnes handicapées me gène beaucoup, moi aussi.
Si on admet qu'il existe des limites à l'humanité de certains humains, l'histoire, pas si ancienne à l'échelle des siècles, nous a montré où cela mène tout droit. Les nazis ont commencé
par l'extermination des handicapés et des incurables. Le manque de vigueur des protestations leur a montré qu'ils pouvaient aller plus loin et ce fut la Shoah : ils ont détruit les juifs,
les tziganes, les homosexuels ... A n'en pas douter, d'autres pans de l'humanité auraient suivi, si des hommes enfin réveillés n'avaient dit "Non".
La notion d'"être humain" ne se négocie pas. Un point, c'est tout.
Mais, précisément, la défense de l'humanité demande qu'on en fasse preuve.
Nous avons tous connu des familles littéralement saccagées par la présence d'un handicapé trop lourd pour son entourage. Pas de vacances, des amis qui s'éloignent parce que c'est trop
compliqué de gérer des invitations ou des visites, les copains des enfants qui ont peur du "monstre" et le renoncement à mettre au monde d'autres enfants parce que le handicap dévore le
temps et ne laisse pas de place à d'autres. Que des parents, surtout des mères car la charge repose sur elles avant tout, ne puissent supporter une telle existence, c'est un
malheur qui mérite surtout notre compréhension et notre aide.
Mais s'ils en veulent, de l'aide, ils doivent revendiquer, insister, sans garantie de succès. La société leur accorde le moins possible, et ne leur offre rien. Même lorsqu'un
handicap est diagnostiqué à la naissance, la mère ne s'entend proposer aucune solution ; elle quitte la maternité avec une charge qu'elle devra assumer seule. A partir de ce moment, son
destin est ficelé. Elle aurait pu l'abandonner à la naissance mais tout a été fait pour qu'elle n'y pense même pas ; et dès qu'elle a commencé à le traiter comme son enfant, le piège est
refermé. Cet enfant qu'elle sera seule à subir, elle y sera définitivement attachée jusqu'à ce que mort s'en suive. Son quotidien est sans repos ; elle n'aura de soulagement momentané que
par des initiatives généreuses, hors programme. C'est ainsi qu'on rencontre parfois dans un service de pédiatrie un enfant lourdement handicapé ; il n'y est pas à sa place, il ne
reçoit aucun traitement spécifique ; mais un médecin compatissant a décidé de l'hospitaliser quelques jours pour permettre à la mère de souffler.
Parfois, c'est le drame. La mère tue son enfant qui n'est plus pour elle que désespoir.
Malgré la compréhension que cette femme nous inspire, tuer un être humain est un meurtre. Elle est coupable, elle reconnait elle-même son geste.
L'acquitement qui la dit "non coupable" n'est donc pas adapté à la situation, mais il serait inhumain et absurde d'envoyer cette femme en prison. C'est une coupable sans risque de
récidive, l'enfermement lui nuira sans l'améliorer.
Il existe un type de verdict qui me paraît convenir à ces affaires malheureuses, c'est la dispense de peine. L'accusé est reconnu coupable mais le jury considère qu'il n'est
pas nécessaire ni même utile de lui imposer une sanction pénale. Franchement, je suis étonnée que les tribunaux n'en usent pas d'avantage.
Mais il est vrai que ces affaires de meurtres relèvent des cours d'assises, jurés populaires qui risquent plus que les juges professionnels de se laisser prendre à l'émotion ambiante.
Les jurés populaires, comme le suffrage universel, sont capables du meilleur et du pire de la démocratie.
L'affaire n'est pas close, le parquet ayant fait appel de l'acquittement.
Entre torche olympique et show présidentiel, cela vaut peut-être la peine de se poser parfois des questions morales.
Qu'en pensez-vous ?