Après Berlin 1936, on avait bien juré qu'on ne nous y reprendrait plus. Cette année-là, les démocraties s'étaient "payé la honte" de participer à des Jeux Olympiques qui s'étaient révélés n'être
qu'une opération de propagande pour l'Allemagne nazie et Hitler. Après la guerre ( il n'y avait plus de risque ), tout le monde s'est couvert la tête de cendres et, dans un grand mouvement
de repentance, les gagnants ( de la guerre ) ont juré avec des trémolos dans la voix qu'on ne les y reprendrait plus, que, désormais, le sacro-saint olympisme de Pierre de Coubertin
(ça, c'est pour le chauvinisme français) serait exigeant sur les Droits de l'Homme.
2008, c'est Alzheimer généralisé. On a tout oublié, les Jeux sont confiés à une grande démocratie : la Chine.
Etonnant ? Non. Qui pourrait résister à la séduction perverse du Marché et des Gros Sous ? Des bâtisseurs aux équipementiers, en passant par les transporteurs, le monde des affaires ...
fait des affaires.
La Chine n'attendait que cela pour changer.
Pour devenir un havre de liberté ? - Vous n'y êtes pas du tout ! - Pour changer de statut : de fournisseur à main d'oeuvre bon marché, accéder, dans la gloire, au rang
de puissance néo-colonialiste. Des ouvriers plus fauchés que les Chinois, elle en a trouvé pour lui servir d'esclaves, au Pakistan, au Bangladesh, en Afrique. Elle joue dans la cour des
grands ; les Jeux Olympiques seront la cérémonie de sa consécration.
Va-t'on lui gâcher la fête ? Serait-il bien élevé, entre gens - à présent - du même monde, de s'inquiéter des droits humains ?
Délicate contradiction : si on fait les gros yeux aux Chinois et qu'on boude leur petite sauterie, ils ne vont pas être contents, ainsi que le Marché et les Gros Sous. Si on fait comme
d'habitude, on a l'air de n'avoir rien remarqué et on se rend à l'invitation avec les compliments d'usage en la circonstance, un tas de doux rêveurs de chez nous vont protester, rappeler des
précédents gênants et, bref, on se paiera la honte, et c'est plus délicat chez des démocrates que chez les Chinois. Difficile de résoudre la contradiction, même après une révision express de
son cours de dialectique.
Nos gouvernants ne manquent jamais de ressources, ils ont trouvé un moyen terme. Ils ont l'air très contents d'eux, on se demande vraiment pourquoi.
On participera aux jeux mais pas à l'inauguration. C'est carrément faux-cul. On veut bien dîner avec le diable mais on arrivera après l'apéro.
Et pourtant, il n'y a pas de quoi rire, la situation est grave et profondément choquante.
Il y a, bien sûr, les Tibétains, leur pays est colonisé et leur culture est niée. Je n'en parle pas d'avantage car ils ont, en la personne du Dalaï Lama, un attaché de presse haut de gamme. Dans
leur malheur, ils ont au moins une chance : on parle d'eux. Ce n'est pas le cas des autres minorités qui ne disposent pas de porte-parole aussi glamour.
Il ne faudrait pas oublier, par exemple, les Ouïgours.
Pas de chance pour eux, ils sont moins connus et moins attirants, à moins de chercher à les connaître.
Ils habitent le Xing Kiang, au nord-ouest de la Chine, le pays qu'on appelait jadis Turkestan chinois, occupé en grande partie par un désert froid : leTaklamakan. Pour compléter le tableau et
titiller l'opinion occidentale par la peur, ils sont turcophones et musulmans.
Mais ils sont bien attachants.
Leur islam n'est pas celui des talibans, les femmes ne sont pas voilées, ils aiment la fête et la musique ; le métier de musicien est même très honoré chez eux. Les mauvais traitements infligés
par les Chinois seraient le seul moyen de les pousser vers l'Islamisme violent. Et puis, si les termes d'"héritage culturel" veulent encore dire quelque chose pour les peuples instruits,
ce sont les héritiers de l'antique Civilisation des Oasis. Elle s'est éteinte au moment où les fleuves descendant de l'Himalaya vers le nord n'ont plus roulé assez d'eau
et se sont perdus dans les sables des déserts d'Asie centrale.
Mais des hommes sont restés, ils ont maintenu une poésie, une musique et l'élevage du chameau de Bactriane, plus performant encore que les 4X4 modernes pour traverser le Taklamakan.
On se demanderait qui peut convoiter un tel pays. Certes, il ne fait pas envie sauf que ... il est sur le trajet d'une route indispensable au commerce chinois. Quel est le poids d'un bout de
désert si peu habité en face du "grand bond en avant" chinois ?
Le Grand Bon en Avant, c'était une autre époque ... ne nous égarons pas. mais nous serons comptables de notre indifférence si le coup de grâce est donné à la Civilisation des Oasis.
Restons vigilants et moblisés pour eux qui comptent sur nous.