La connaissance est chose admirable.
Enfants, nous recevions des éloges et des bons points quand nous savions bien nos leçons et des punitions en cas de mauvaises notes. Le culte de la science et du travail aurait dû, normalement,
s'ensuivre et nos parents y comptaient ferme.
C'était oublier les grains de sable qui viennent gripper les meilleures mécaniques. Le plus communément répandu étant la fainéantise, la science nous a très vite paru difficile. "On
n'a qu'une santé", en vertu de cette évidence, nombre d'entre nous y ont carrément renoncé.
Pourtant, si Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, nous cultivons un art consommé, celui de produire, entretenir et diffuser l'ignorance.
Les sciences humaines ne laissant rien de côté, pour qualifier cette aptitude, des experts ont inventé l'"agnotologie", la science de l'ignorance pour étudier dans tous ses détails notre
addiction pour la bêtise.
Ne croyez pas que l'ignorance ait la vie facile ; elle a de savants adversaires voués à sa destruction.
Voyons quelques unes des stratégies qu'elle déploie pour survivre et prospérer.
D'abord, relativiser pour disqualifier les experts. Au nom d'une prétendue démocratie - le terme a toujours la cote- on mélange allègrement connaissance et opinion, on réaffirme le
droit de tous à s'exprimer.
Emballé c'est plié, les gourous et créationistes de tout poil sont placés au même niveau que Darwin ; nous voilà débarrassés de l'Evolution et de la génétique. Au passage, Einstein est enrôlé au nom, précisément, de la dite "relativité". E=mc2 ... personne, ou presque, n'y comprend rien, raison de plus pour lui faire dire n'importe quoi, même si sa relativité n'a aucun rapport avec le relativisme.
Les sciences dures ainsi piétinées, au tour des sciences humaines.
Les succès de librairie le démontrent, les amateurs adorent l'histoire qu'ils ont l'impression de pouvoir aborder sans trop de fatigue ; ni méthode, ni déontologie. Résultat : le public butine
dans l'histoire le plus conforme à l'esprit du temps ou le plus croustillant. Les stars du roman historique, Marie-Antoinette ou Sissi (et son avatar Diana) ont un public plus attentif que
l'histoire du climat ou de l'industrie. Plus grave et même tragique, quand la pseudo-histoire rencontre le relativisme, ça donne ..? : le négationisme et le conspirationisme, deux maladies
extrêmement pernicieuses où le déni de réalité se met au service de crimes bien réels.
Sans surprise, l'être humain aspire à tout connaître des sciences de la vie. Il est au premier chef concerné par les avancées de la médecine mais, quittons Monsieur Jourdain
pour Diafoirus, il n'éprouve aucun besoin de distinguer croyance et connaissance.
Vous qui avez sacrifié la distraction aux études, qui avez sué sang et eau pour intégrer de prestigieux laboratoires, vous avez peut-être un vague espoir que le public vous sera
reconnaissant du travail accompli. Pas du tout ! La concurrence des bateleurs médiatiques, vous ne l'aviez pas nécessairement prévue.
Ils sont là pour faire de l'audience. S'il fallait, en plus, qu'ils fassent preuve de déontologie ...
Nos contemporains ne sont pas mieux traités que leurs ancêtres. Une surabondance d'informations peut leur en donner l'illusion mais l'émotion est toujours plus sollicitée que
la raison.
Autrefois, quand une épidémie survenait, pour ne pas mettre en cause l'hygiène publique dont ils étaient responsables, les édiles accusaient un bouc émissaire : juifs,
étrangers, nomades ...
Aujourd'hui, cet archaïsme est passé de mode. Grâce au commerce international, les microbes circulent avec les produits sans avoir besoin d'un hôte humain. Il est très facile
d'accuser une marchandise, elle ne risque pas de protester. Le véritable "cafouillage" qui vient de survenir en Allemagne est un vrai cas d'école.
Des gens sont contaminés, certains gravement, par un escherichia coli. Ce microbe fécal est un marqueur de la présence humaine et animale. Là où il est présent, faute d'une hygiène rigoureuse, il
contamine tout ce qui est manipulé, en particulier, tous les aliments.
Les médias veulent leur dose d'informations ; on en livre immédiatement sans avoir pris le temps d'une enquête. Des concombres contaminés ont été trouvés. L'annonce tombe,
foudroyante : le "responsable est un concombre espagnol". Le résultat ne se fait pas attendre : les concombres espagnols ne se vendent plus, bientôt suivis des tomates, des salades et de tous les
fruits et légumes de toutes provenances.
Catastrophe dans le monde agricole qui n'en avait pas besoin, incidents diplomatiques. Après quelques jours, on reconnaît piteusement l'innocence des légumes mais la méfiance se
renforce, à qui se fier ? Des bruits courent, terrorisme, guerre bactériologique ? Des heures d'émission radio et télé pour répéter qu'on ne sait rien, que c'est très grave...
mais qu'il ne faut pas s'inquiéter. Le public est saturé de verbiage il n'apprend rien d'utile.
Quelles sont les propriétés de cette famille de bactéries, quelles mesures faut-il prendre pour limiter la contamination ? Voilà les seules questions
d'importance mais elles n'ont pas cours. La vulgarisation utile n'existe pas, le citoyen se croit autonome et responsable mais il n'est plus qu'un consommateur de santé.