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22 décembre 2007 6 22 /12 /décembre /2007 23:14

L'Eglise a placé des hommes-clefs auprès de la noblesse féodale. Son influence grandit, son autorité morale est de plus en plus difficile à contester ; il lui reste à trouver le moyen de dicter aux nobles leur politique. 
Il faut peser sur l'essentiel.
Et l'essentiel pour les hommes des temps féodaux, c'est transmettre. 
Ce qu'on a reçu de son père on doit le transmettre à son héritier, si possible augmenté mais jamais diminué. On ne peut acheter des domaines pour s'agrandir, la propriété au sens moderne n'existe pas ; à la terre s'attache une foule de droits qui peuvent être détenus par des titulaires différents. Lorsqu'un seigneur donne à un monastère le droit de coupe sur un bois, il y garde néanmoins le droit de chasse ou  de pacage, droit qu'il pourra attribuer à d'autres, mais la parcelle est toujours dans son fief. Le pouvoir réside dans le droit de disposer. 
Dans nos manuels scolaires, on nous a bien fait sentir à quel point le serf était maltraité, lié à sa ferme sans pouvoir choisir une autre vie. Relativisons : ce qui est contrainte est aussi une garantie ; le paysan ne peut être expulsé, le chômage n'existe pas, ce qui laisserait rêveurs bien des ouvriers modernes ; et son seigneur n'est pas plus libre, lui aussi est définitivement lié à un domaine qu'il ne peut aliéner. 
Ne nous égarons pas et revenons à notre sujet, comment s'agrandir si on ne peut ni vendre ni acheter ?
Les deux manières les plus usitées sont la guerre et le mariage.
La guerre est évidemment un bon moyen de n'en faire qu'à sa tête et d'imposer son point de vue, mais, incessante et endémique, c'est une cause d'anarchie et de ruine qui atteint toute la société ; lorsque le paysan crève, la noblesse et le clergé s'appauvrissent et leurs ambitions rétrécissent. Et puis, ça ne fait pas très chrétien.
L'Eglise, la première, se lance donc dans une entreprise d'éradication de la guerre, c'est à dire de la guerre entre féodaux. il faut garder ouverte la possibilité de se battre au nom de la foi ; ménageons l'avenir. 
Le clergé ne se fait pas d'illusions, il sait qu'il est impossible d'interdire totalement la guerre, elle est trop enracinée dans la culture ambiante, c'est la raison d'exister des nobles, mais il va établir des règles pour discipliner le traitement des conflits et, par là, se mèler de questions qui ne le regardent pas à priori.
Le jeune guerrier passait par une initiation virile en grande partie héritée des ancêtres barbares ; on remplace le vieux rite par l'adoubement qui en fera un chevalier béni par l'église et tenu de respecter quelques usages tels que la trève de Dieu limitant la durée des hostilités. Il jure de recourir à l'arbitrage des autorités religieuses et surtout de protéger, outre la veuve et l'orphelin, tous les religieux, leurs biens et les individus sous leur protection ou leur autorité. 
Ces règles sont assez peu efficaces pour épargner au pauvre monde les malheurs de la guerre mais elles font de la politique, et surtout de la diplomatie, des chasses gardées du clergé. 
La noblesse n'est plus souveraine à la guerre. 
A-t'elle mieux réussi avec les mariages ?
...à suivre ...

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28 novembre 2007 3 28 /11 /novembre /2007 00:32

Nous parlons de "féodalité" et il nous revient des images d'adoubement béni, de templiers, de moines soldats, nous restons persuadés que l'Eglise et la noblesse filent le parfait amour. 
C'est un mariage de raison, l'Eglise maîtrise l'instruction qui est indispensable en tous temps et la noblesse dispose de la force armée nécessaire à toute forme d'autorité. Elles sont donc bien forcées de s'entendre mais l'une et l'autre cultivent les occasions de marquer des points.
Comment vit la noblesse féodale ? 
Surtout pas dans les trop célèbres châteaux forts, n'en déplaise aux disciples de Walter Scott ;  le château-fort est une forteresse, avant tout une caserne, doublée d'un dépot de vivres et de munitions. Pas plus que nous, le seigneur du moyen-âge n'est capable d'y passer sa vie. Il n'y séjourne qu'en temps de guerre, lorsqu'il faut se mettre à l'abri et résister. 
Dans une grande simplicité qui serait inimaginable au XXIème siècle, le seigneur est d'abord un nomade, pour deux raisons : 
- ses sujets et lui sont unis par une parole, un serment réciproque non écrit, il est donc obligé d'être physiquement présent auprès de tous, alternativement. 
- les campagnes vivent une économie de subsistance et de troc ; la collecte d'un impot en numéraire est pratiquement impossible ; le seigneur vient consommer l'impôt sur place. Il en profite pour rendre la justice. Son épouse gère les biens en veillant sur les enfants dans la principale maison du domaine. 
Il nomadise donc, en compagnie de ses concubines, de quelques hommes de confiance et d'une troupe d'assez mauvais sujets encadrés par des chevaliers sans avoir, des fils cadets ou bâtards courant l'aventure qui paie. 
 Une  vie itinérante ne conviendrait pas à une cour véritable avec son decorum ; par bonheur, les besoins en services administratifs et juridiques sont très réduits. Ils sont concentrés entre les mains de quelques clercs qui conseillent la chatelaine et sauront vite se montrer indispensables en déchargeant le seigneur du quotidien. L'Eglise a placé des hommes auprès de la noblesse et prend le plus grand soin de leur recrutement et de leur formation. 
Ils doivent savoir qu'on ne peut servir deux maîtres à la fois et qu'ils doivent d'abord servir Dieu, c'est à dire l'Eglise.
Quelle sera la récompense des bons sujets ? Facile à deviner : on les canonisera, on en fera des modèles qui stimuleront les émules à venir.
Le cas typique : Thomas Becket.
Au départ,  il n'a rien d'un saint. 
Normand d'origine, il fait de solides études à Londres et devient clerc mais n'a aucune intention de desservir une paroisse, fût-elle importante, ou d'entrer au monastère. Sa place est auprès du pouvoir où sa valeur sera appréciée, où il prendra lui aussi de la puissance. Très vite, il se lie avec le duc de Normandie qui est aussi roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt. Les deux hommes ont en commun l'intelligence, l'ambition et une implacable volonté.
Henri est le seigneur le plus puissant depuis un vrai coup de chance : Aliénor, la duchesse d'Aquitaine a divorcé du roi de France, Louis VII, pour épouser le roi Henri, apportant avec elle la moitié occidentale de la France. Le couple aura huit enfants, donc l'espoir de profitables alliances ; l'avenir s'annonce radieux. 
Henri n'accepte aucune contrainte et aime la vie jusqu'à la débauche ; Thomas partage ses plaisirs et le seconde en tout. Le roi a confiance en lui au point qu'il lui fait attribuer le siège épiscopal de Cantorbery, la primature d'Angleterre. C'est qu'Henri veut mettre l'église d'Angleterre à la raison, la soumettre à sa justice et sa fiscalité ; il promulgue les Constitutions de Clarendon, un texte qui établit son autorité sur les biens ecclésiastiques. Ce roi à qui tout a réussi vient de faire l'erreur de sa vie, Thomas Becket est devenu archevêque ; à l'étonnement de tous, il se comporte en archevêque et prend le parti de l'Eglise contre son roi.
La crise va durer plusieurs années sans que le roi puisse faire plier l'inflexible Thomas, jusqu'à l'irréparable : deux sicaires assassinent Thomas au pied de l'autel. Ils ont mal interprêté des paroles agacées du roi demandant qui pourrait le débarrasser de l'évêque et commettent le meurtre, comptant bien être récompensés.
Immédiatement, les sanctions pontificales pleuvent. Le roi ne se sauvera qu'en renonçant à tous ses projets.  Thomas Becket est canonisé. Le roi subit l'humiliation de voir les pélerins défiler devant le tombeau du martyr. L'Eglise a gagné.
Plus tard, Becket restera populaire comme le modèle du haut fonctionnaire intègre, avant tout soucieux d'accomplir la fonction à laquelle il a été nommé, c'est une autre histoire dans un monde moins religieux.
 L'Eglise n'a pas toujours des Thomas Becket à envoyer au sacrifice pour la grande gloire de Dieu mais, dans une société où elle occupe une position dominante, elle a d'autres armes à sa disposition.
....(à suivre) 

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29 octobre 2007 1 29 /10 /octobre /2007 22:49

Notre petite chronique des saints à travers les âges allait son petit bonhomme de chemin en descendant l'histoire, mais l'actualité bouscule le programme.
Le pape vient de béatifier en bloc des membres du clergé espagnol victimes des républicains pendant la guerre d'Espagne. Qu'en dire ?
Par définition, une guerre civile fait des morts des deux côtés. Pourquoi le vatican tient-il à opérer une différence de traitement entre les deux camps ? Que fait il des républicains tués par les franquistes ? Les clergés basque et catalan étaient souvent républicains, mais pour le vatican, on ne peut être républicain et chrétien. Curieuse idée du christianisme toujours fondé sur l'alliance du sabre et du goupillon.
Il me revient un choc pris en pleine tête en 1971, le film d'Arrabal "viva la muerte". L'oeuvre d'art fait éprouver beaucoup mieux qu'un documentaire la violence extrême d'une église qui sème les névroses, brime le sexe et la liberté, interdit à un enfant d'aimer son père républicain et finit par engendrer la haine de tous contre tout. 
Ce film était partisan ? Certes, mais pas plus que la décision pontificale de béatifier le clergé franquiste.
Petite consolation : ils n'ont été que béatifiés, c'est normalement la première étape dans la voix de la canonisation. 
Ils auront du mal à finir le cursus ;  le droit canon prévoit que pour être canonisé, il faut avoir des miracles à son actif. 
Et, par bonheur, c'est pas demain qu'on le verra. 
On est donc obligé de prendre la béatification du clergé franquiste pour ce qu'elle est, un coup de communication, un message de plus à l'intention des catholiques réactionnaires, après le retour en grâce du clergé intégriste, le soutien aux polonais antisémites et la main tendue aux religieux génocidaires du Rwanda. Dis moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es. Nous avons compris.

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29 octobre 2007 1 29 /10 /octobre /2007 00:18

Quatorze siècles, c'est le temps qu'il faut au christianisme pour installer son pouvoir, mater les contestataires et fixer les obligations de la société à son égard, un temps beaucoup plus long que celui qui nous sépare du Moyen Age que nous croyons pourtant si éloigné.  L'Eglise s'est accrochée patiemment à toutes les occasions d'imposer ses hommes, ses dogmes et son influence.
 Il y a eu l'Eglise héroïque des premiers temps avec ses martyrs. Ensuite, elle traverse des siècles d'invasions et d'anarchie, et elle tient bon. Sa solidité rassure pendant que les règnes princiers durent si peu. Elle est inébranlable. C'est aux monastères qu'on demande secours, c'est vers eux que l'on se tourne en cas d'invasion, de famine, d'épidémie. 
Elle découvre très tôt l'art de la communication  ; à quoi serviraient de telles qualités si personne n'est au courant ? C'est l'origine du sermon de l'officiant. La messe n'est plus seulement la répétition d'un rituel - que le peuple ignorant du latin ne comprend pas -, elle est surtout l'occasion de prêcher, de faire connaître les commandements de Dieu et de l'Eglise et de vitupérer les ennemis de la religion. Le discours, pour être efficace auprès d'un public souvent fruste, doit être orné d'anecdotes, d'exemples. On cite abondamment les saints dont on organise un véritable culte parallèle à l'orthodoxie. On recherche des reliques et  on leur construit des chapelles qu'on décore sans regarder à la dépense.
C'est l'occasion de tordre le cou à la vieille légende des terreurs de l'an mil. L'an mille n'est pas une époque de tristesse et d'obscurité. Si elle était comme on nous la représente dans certains romans ou films, la vie humaine aurait quitté l'Europe. C'est une période de progrès, le début d'une renaissance féodale.
   Un climat doux sans calamités notables va durer trois siècles. De bonnes conditions climatiques, c'est une production agricole suffisante et régulière, la réduction des famines et des épidémies ; avec les mots d'aujourd'hui, nous parlerions de croissance. Un résultat encore visible, dix siècles après : l'église rectangulaire avec son  clocher au centre du bourg , nous en avons tellement l'habitude que nous n'imaginons pas un village autrement. Quand les affaires vont, l'immobilier aussi va bien ; la religion s'installe au coeur de la société, c'est le "blanc manteau d'églises", et le patrimoine monastique vit son heure de gloire. On reconstruit plus grandes et plus belles les anciennes abbayes  des temps mérovingiens ou carolingiens et on en crée de nouvelles qui sont les plus beaux témoins de l'art roman. 
   Une vie globalement plus policée, mieux organisée, et le profil des saints se modifie dans le même sens. Les personnages originaux et hauts en couleurs vont laisser la place à des savants, des penseurs, souvent détenteurs d'un grand prestige spirituel et d'une véritable autorité sur leur ordre monastique. Trois premiers abbés de Cluny, Odon, Odilon et Hugues en sont un cas typique. 
    Trois abbés en un siècle, une longévité qui n'est exceptionnelle qu'en apparence. En réalité, la vie monastique est un bon moyen de vivre vieux, elle place les moines et les nonnes à l'abri des dangers qui tuent fréquemment le commun des mortels : la maternité pour les femmes et, pour les hommes, la guerre et le travail de la terre, ses accidents et ses maladies, infections et tétanos.  Leur mode de vie très rude, leur régime s'alignait sur celui des plus pauvres, mais très régulier, était un bon moyen de vivre vieux.
    Dans le récit de leur vie, on commence à voir un début de préoccupation humanitaire. L'ordre de Cluny est très riche, plus que la papauté, mais les moines individuellement ne possèdent rien. L'économie n'est pas monétaire, d'ailleurs les seigneurs se déplacent pour consommer sur place la part de denrées correspondant au plus gros de l'impôt qui leur revient, l'épargne et le placement sont impossibles dans le monde des campagnes. Pour une abbaye, le meilleur moyen d'accumuler des richesses est la constitution d'un trésor, d'où l'amoncellement de pièces d'orfèvrerie que l'on regarde un peu rapidement comme des inutilités somptuaires. L'abbé Hugues, appelé "Le Grand", célèbre pour son goût du magnifique, n'hésite pas, dans une période de disette, à envoyer à la fonte les vases sacrés de l'abbaye afin de nourrir les pauvres qui se réfugient en grand nombre à Cluny.
     Voilà des saints qui commencent à présenter une figure plus acceptable. L'église saura tirer parti de leur prestige. Mais le conflit sournois entre le château-caserne et l'abbaye n'est pas résolu pour autant.
 ( à suivre...)

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14 octobre 2007 7 14 /10 /octobre /2007 18:50
Au temps des mérovingiens la sainteté se répand comme une épidémie. La vie des saints est souvent romanesque et d'une indéniable efficacité prosélyte, mais elle correspond rarement à l'idée que nos contemporains se font de la sainteté.
Des familiers de rois utilisent leur position pour défendre les intérêts de l'Eglise, ils sont canonisés. Un bon cheval de Troie mérite d'être honoré. Leur mémoire, pensons à St Eloi, est parfois plus joyeuse que sacrée.
Les plus nombreux sont des ecclésiastiques ; rien de tel que de laisser les pros faire leur métier.
Le meilleur moyen d'accéder à la sainteté est de fonder un ordre monastique ou, tout au moins, de se procurer les moyens de bâtir une abbaye entourée de champs et de villages en quantité suffisante pour assurer son train de vie. 
Dans ce foisonnement, marquons un arrêt sur le monachisme irlandais. 
Dans ce Far West de l'Europe, les monastères fleurissent juqu'aux îles d'Aran. Isolés, évoluant séparément, ils créent et défendent  farouchement une règle particulière que Rome ne fera rentrer dans le rang qu'avec bien des difficultés . Surtout, ils sont des lieux de sauvetage de la culture antique. Sur le continent, le niveau moyen d'instruction s'effondre, même chez les religieux. Pendant ce temps, les équipes de moines copistes tournent à plein dans les scriptoria d'Irlande, poursuivant l'étude du latin classique et du grec. Ils ont ainsi sauvé bien des textes anciens. 
  Aujourd'hui, il est de bon ton d'affirmer le rôle primordial des Arabes dans la conservation et le développement des connaissances. Emportés par leur enthousiasme, certains affirment que, sans les Arabes, il n'y aurait pas de mathématiques, vu qu'ils sont les créateurs du zéro. 
Fort bien. Alors, comment faisaient Archimède ou Pythagore ? Comme mathématiciens, on a connu plus nuls.
Il faut raison garder. L'est et le sud de la Méditerranée sont les débiteurs des Arabes mais le nord et l'ouest de l'Europe ont la même dette envers les moines irlandais des Vème et VIème siècles. 
   Amis de la science et de la culture, abandonnez ici vos illusions, le travail du parchemin n'est pas une sinécure mais il ne suffit pas pour décider l'Eglise à canoniser des scribes. En Irlande comme ailleurs, ce sont les  fondateurs et les organisateurs qui deviennent saints. Patrick, devenu le saint patron de l'Irlande, a pour mérite principal la conversion au christianisme des druides celtiques ; l'Eglise récupère d'un coup un jeu de structures en état de fonctionner. 
   Une autre célébrité locale : Colomban ; sa trace se retrouve sur le continent plus que dans son île d'origine. C'est un fanatique qui a la bougeotte. La foi chrétienne est bien malmenée de l'autre côté de la mer ... Qu'à cela ne tienne, il va partir en mission ; il réunit une équipe de volontaires et s'embarque pour la Bretagne continentale. Le moine  du haut moyen-âge est, en effet,  un voyageur, ce que nous appelons aujourd'hui un missionnaire ; la clôture monastique viendra des siècles plus tard. Pour l'instant, Colomban et ses disciples prêchent, baptisent, fondent des abbayes. Ils inaugurent un procédé efficace : à chaque nouvelle fondation, le plus ancien, le plus expérimenté des compagnons reste à la tête du nouvel établissement et des nouveaux convertis rejoignent l'expédition qui continue son chemin pour convertir plus loin. Les jalons les plus prestigieux sont St Philbert, Faremoutiers, Luxeuil, St Gall ... jusqu'à Bobbio où Colomban finira ses jours, en Italie.  La réussite indéniable de Colomban est due à une remarquable énergie hélas gâtée par un fanatisme non moins exceptionnel. Il a refusé son pardon à Gall sur une broutille et lui a interdit à vie de dire la messe ; il faut croire que Gall n'est pas si mauvais chrétien, il est devenu St Gall,  mais Colomban use d'un pouvoir discrétionnaire de juger.
   En chemin, ils croisent la route de la cour mérovingienne. L'Histoire a été très dure avec ces pauvres rois qualifiés de "rois fainéants" qui sont, avant tout, des rois faibles et instrumentalisés. Le règne de Dagobert a été le seul assez long  pour donner du temps à l'action, et son bilan est très honorable. Les autres rois de la famille sont des enfants malades, pris dans un cercle vicieux. Montés trop jeunes sur le trône, ils sont drogués, alcoolisés, livrés à leurs plus mauvais penchants par de prétendus conseillers qui leur volent le pouvoir avant de les enfermer dans un monastère lorsqu'ils ont cessé de servir. Parmi ces profiteurs, des hommes d'église tiennent leur rang. Une reine joue sa propre carte pour essayer de mettre de l'ordre et de sauver le trône de ses petits-enfants. Inutile de préciser que l'Eglise, par histoire interposée, ne lui a pas fait de cadeau. Cette reine, c'est Brunehaut, celle qu'une mode récente chez  certains historiens fait appeler Brunehilde - il paraît que c'est pour faire plus germanique, vu que la dame est une princesse wisigothe ... sauf que sa famille wisigothe régnait en Espagne et que tout le monde chez elle parlait et écrivait latin ... - Entre Brunehaut et Colomban c'est tout de suite le choc. C'est l'homme d'église qui est le vainqueur, la grand'mère vaincue périra traînée à la queue d'un cheval, elle a quatre- vingts ans. Voilà le genre de doux ange qui devient saint. 
Et le tissu des implantations religieuses se renforce mais la lutte n'est pas finie (à suivre...)
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3 octobre 2007 3 03 /10 /octobre /2007 12:00

Le christianisme, d'abord mal reçu à Rome, considéré comme inintégrable (tiens, tiens ...), a tellement prospéré qu'il est devenu religion officielle de l'empire. 
Au Vème siècle, voilà que l'empire romain s'écroule. Que va devenir sa religion ?
On a longtemps imaginé le déferlement de hordes barbares pillant et massacrant ; ça ne s'est pas vraiment passé ainsi. La pression d'envahisseurs asiatiques sur la Germanie et le désir de meilleures conditions de vie ont poussé plusieurs vagues de peuples à franchir les limites de l'empire romain qui abritait déjà des éléments attirés par les Romains qui avaient besoin de main d'oeuvre . Des groupes isolés ont bien exercé quelques razzias, des maisons ont été brûlées, des récoltes pillées, comme dans toutes les périodes d'anarchie et de guerre, mais ce qui a marqué la fin de l'empire, c'est d'abord la pénétration dans la culture romaine de nouveaux modes de vie, des traditions venues d'ailleurs, souvent mèlées de vieilles croyances pré-romaines réactivées. On assiste à l'émergence d'une aristocratie nouvelle imposant ses codes, ses valeurs et ses croyances.
Ils ne sont généralement pas chrétiens et ils s'emparent de régions christianisées où le clergé est la seule autorité organisée. 
Même si on les considère comme des barbares, leurs chefs (tels Clovis) sont parfois des politiques doués, ils comprennent que s'entendre avec le clergé est nécessaire pour durer.  Ils se convertissent . Dans la foulée, le peuple adopte la religion du prince ; romain ou barbare, l'occident est chrétien.

  C'est le début d'un millénaire de ... conflits.
Entre les pouvoirs civils et religieux, c'est un mariage de raison ; ils sont unis par une solide communauté d'intèrêts mais chacun essaie d'abord de faire valoir ses projets. Le clergé n'a pas d'armée ; il met en place d'autres systèmes d'autorité dont les saints font partie.
Les siècles du grand chambardement, du règne des mérovingiens, sont paradoxalement le temps des saints. Aucune autre époque n'a laissé autant de prénoms au calendrier ou de noms de lieux en "Saint..." Qui étaient-ils ? Qu'ont-ils fait pour mériter d'être canonisés ? 
L'histoire de l'Eglise de ce temps -là est celle des privilégiés, les pauvres ne sont qu'une masse indifférenciée, leur seule fonction religieuse est de permettre aux puissants de gagner le paradis en exerçant la charité, ou plutôt, l'aumone. Les saints appartiennent donc au monde des riches et de leur entourage.

Quelques illustrations :
L'Eglise n'a pas oublié le rôle exercé par les femmes dans les premiers temps, elle va les remettre à contribution en s'appuyant sur les reines et les régentes. La plus célèbre, du moins en France, est Clothilde, femme de Clovis. Elle est devenue sainte pour avoir convaincu son royal époux d'embrasser la religion chrétienne et c'est la version que l'Eglise a propagée de l'événement. On peut avoir des doutes, Clovis était assez intelligent pour prendre sa décision sur des motifs exclusivement politiques sans avoir besoin de se rendre aux conseils de la reine, mais l'Eglise avait besoin d'un exemple à proposer aux futures épouses de dirigeants dans les siècles ultérieurs. En tous cas, c'est la version qui prévaudra, l'édition scolaire étant restée longtemps sous influence religieuse. On ne se privera pas de le souligner malicieusement, certains bons républicains laîcs ont refusé l'accès de la vie politique aux femmes en se fondant sur leur soumission aux influences cléricales ; leurs préventions venaient de loin et, sur ce point, ils avaient raison.

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7 septembre 2007 5 07 /09 /septembre /2007 10:47

Nous avons laissé les premiers chrétiens dans le refus de s'adapter à Rome et l'intention bien arrêtée d'en obtenir néanmoins la conversion. Comment se faire entendre dans une société qui vous est hostile ? 
Une stratégie qui fera des émules : trouver le point faible et s'infiltrer par une brêche, exploiter les fragilités romaines. C'est la guerre psychologique, on appelle les saints à la rescousse. 
La toute première génération de chrétiens n'a pas eu besoin de se trouver des héros, elle les cotoyait, c'étaient les compagnons et contemporains de Jésus. Les suivants devront se trouver des modèles, des figures emblématiques promises à la sainteté. Evidemment, en ces temps de relations exécrables avec Rome, le saint typique est le martyr qui meurt tout naturellement  pour sa foi, histoire de laisser le mauvais rôle aux Romains. Il remporte un tel succès que les prêtres se trouvent dans l'obligation de rappeler qu'il ne faut pas rechercher le martyre, seulement l'accepter lorsqu'il vous est imposé.
 Un modèle mérite qu'on s'y arrête : le grand nombre de saintes qualifiées de "vierge-et-martyre", à croire que les romains tenaient particulièrement à livrer les jeunes filles aux lions. Oublions Quo Vadis, le récit de leur existence édifiante nous parle d'une autre réalité, un conflit interne à la famille romaine, conflit dont les chrétiens ont su tirer parti. 
Petit retour sur la toute-puissance du pater familias. Il est bien connu, ne serait-ce que par la mauvaise réputation que les chrétiens lui feront et laisseront pour la postérité, que le Romain, chef de famille a droit de vie et de mort sur les siens, esclaves, femme et enfants. Dans la pratique, ce pouvoir n'est pas total, des usages établis au cours des ans le limitent. Principalement, c'est à la naissance des enfants que le père de famille prend une décision sans appel. Il ne laisse vivre que les enfants qu'il décide d'élever. Les héritages, évidemment, se font sans partage ;  il faut s'attendre à des guerres successorales entre enfants ( n'oublions pas que nous sommes dans la cité de Romulus et Remus). Prudent, le romain, surtout de la classe sénatoriale, a peu d'enfants. Les nouveaux-nés surnuméraires sont tout simplement éliminés ou, plus souvent, exposés, c'est à dire abandonnés ; dans un cas comme dans l'autre, ils n'existent pas. Le procédé, pour nous choquant, est très courant dans nombre de sociétés anciennes sans contraception efficace ; mais dans beaucoup d'autres lieux, l'abandon d'enfants et l'infanticide sont le fait des femmes, surtout des prostituées ; la particularité romaine est le pouvoir discrétionnaire du mâle dominant : rien ne peut commencer à exister sans son accord, c'est lui qui décide de donner la vie. 
On comprend mieux pourquoi les riches Romains adoptent beaucoup. Paradoxal ? Non. 
Ils font peu d'enfants dans un temps où la mortalité des jeunes est importante, il n'est donc pas rare qu'aucun fils n'atteigne l'âge adulte. L'homme vieillissant, ou qui ne se prévoit pas assez d'avenir pour faire un nouveau-né et attendre qu'il grandisse, décide d'adopter. Rien à voir avec les adoptants d'aujourd'hui à la recherche de nourrissons à élever dans la tendresse pour combler un manque affectif, le Romain se choisit un fils adulte. Si le sentiment n'est pas toujours absent, il n'est pas obligatoire ; il importe plus de transmettre que d'aimer ; surtout, il faut un continuateur pour célébrer les cultes familiaux qui ne doivent pas tomber dans l'oubli, en eux réside la seule forme d'immortalité à laquelle croit le Romain. Les déconvenues ne sont pas rares... ex : "Tu quoque fili" (Jules César)...
Les femmes sont les plus malheureuses, les mères dont le mariage forcé n'a été qu'un viol officialisé par le mariage, elles auraient pu se consoler en aimant leurs enfants et elles s'en trouvent privées sans qu'elles aient eu leur mot à dire.
Si peu de garçons survivent, la situation est pire pour les filles. A Rome, la naissance d'une fille est une catastrophe, elle ne sera d'aucun profit, et même, elle coûtera car il faudra lui constituer une dot si on veut la marier. En règle générale, le père ne garde que la première née dont le mariage pourra lui servir dans ses alliances politiques ou autres ; exceptionnellement, une deuxième peut être "mise de côté", on en fera une vestale, une sorte de roue de secours au cas où l'ainée viendrait à mourir. 
Voilà un tableau approximatif du monde où débarquent les judeo-chrétiens.
Leur coup de génie : ils vont s'intéresser aux réprouvés de Rome, donner de l'importance à ceux et celles qui n'en avaient pour personne.
D'abord, il faut approcher les femmes et les filles ; pas facile, elles n'ont pas la liberté d'aller et venir et de faire des rencontres. La solution ? Les esclaves. 
Des activités économiques aux travaux domestiques, dans cette métropole cosmopolite, tous les métiers sont exercés par des esclaves. Ils exécutent les tâches les plus dures, les plus dégradantes ( à Rome, aussi, il faut curer des égouts et débarasser le fumier des écuries), mais on les trouve aussi dans l'intimité des grandes familles, ils sont précepteurs, médecins, régisseurs. L'homme de confiance de chaque maison romaine est un esclave ; sans lui, rien ne fonctionne dans la vie quotidienne. Ce qui fait qu'on le voit partout, il a accès à tout et à tous. Les Romaines ne sont pas enfermées dans des harems, gardées par des eunuques, elles cotoient la main d'oeuvre servile des maisons et des échanges s'établissent.
Parmi les esclaves, on trouve des chrétiens. Ils ont de l'influence sur les maîtres à qui ils ont su inspirer confiance. Comme ils se conduisent chastement avec les femmes, les maris n'interdisent pas leur fréquentation. Alors, aux femmes, ils expliquent que Dieu exige le respect de la vie et qu'il interdit le sacrifice des enfants, des saints-innocents ; ils ajoutent que se marier sous la contrainte est une faute pour les deux époux et qu'il vaut mieux ne pas se marier et consacrer sa vie à faire le bien et adorer Dieu que d'accepter à contre-coeur une union forcée. Les conversions prennent un tour épidémique, l'influence du chrétien prosélyte fait tache d'huile. La fille que son père veut marier de force est rarement seule, elle se sait soutenue, sa décision devient irrévocable. Le père ne comprend pas : cette fille, il a permis qu'elle vive, en retour elle lui doit bien l'obéissance, et il devrait affronter un refus, donc la contestation de son autorité... C'est l'ordre social qui vacille. Il faut sévir et faire un exemple ... qui ne servira qu'à stimuler les vocations au martyre.
Voilà ce que sont la plupart des saintes "vierges et martyres" des débuts du christianisme.
Pour résumer, le christianisme qui s'égarera plus tard dans l'Inquisition et l'alliance du sabre et du goupillon fut, à l'origine, un mouvement de contestation, défenseur des droits humains avant la lettre, et les premiers saints se comportèrent en agents de la subversion.
La suite nous réserve d'autres observations amusantes.

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19 août 2007 7 19 /08 /août /2007 22:56

Après la messe en latin ou en français, restons à l'église et parlons des saints. Ne levez pas les bras au ciel. Bien des croyants ne leur font qu'une confiance limitée, pourtant, leur  charme est certain. C'est qu'ils nous apprennent bien des choses sur leur temps et celui de leurs dévots. 

 D'abord, séquence-souvenir : une adolescence d'avant 1968 dans une famille catholique. Pas question d'échapper à la messe du dimanche. S'y opposer c'était braver les mesures de rétorsion que les parents n'auraient pas manqué d'exercer ; il restait à passer le temps sans se faire remarquer, en faisant feu de tout bois. A l'époque, on n'avait pas encore adopté l'usage des livrets de messe ressemblant à des cahiers de chants pour veillées scouts, les paroissiens se rendaient à la messe équipés de leur propre missel. Dans les plus beaux et gros modèles, sur papier-bible (cela va de soi !), dorés sur tranche, figuraient les particularités liturgiques et une rapide évocation du saint de chaque jour. Ce fut un premier contact avec la légende dorée. Un pis-aller débouchait sur une véritable découverte.

Les vies de saints ne sont pas que des contes de fées à connotation saint-sulpicienne, elles révèlent  beaucoup sur l'époque qui les a produites. Depuis toujours, l'Eglise a fait saints des personnages représentatifs de l'image qu'elle voulait donner d'elle-même. Les canonisations, marquées par leur époque, n'échappent pas aux mouvements de mode. Les saints du calendrier connaissent des vogues révélatrices. En puisant dans le stock disponible, les choix du moment marquent des retours en force qui répondent à des besoins.

A l'origine - l'expression "premiers chrétiens" est une invention tardive des historiens de la religion - il s'agissait d'une petite secte juive (judeo-chrétienne avant le mot), contemporaine de la prise de Jérusalem par Titus et de l'éclatement diasporique qui s'en suivit . Ce petit groupe assez minable (n'ayons pas peur des mots) allait prospérer jusqu'à devenir  la Chrétienté  très  importante, très influente, dans l'empire romain puis le monde entier. En attendant, ils débarquent à Rome et dans les grandes villes de l'empire  avec la volonté acharnée de propager leur foi.

Les Romains ont l'habitude de ces vagues d'immigrants en provenance de l'autre côté de la Méditerranée, fuyant la misère et l'oppression  (tiens, ça rappelle d'autres temps ...), on est la métropole de l'empire, tout de même !  A la différence de nos concitoyens, ils ne craignent pas que l'étranger vienne prendre leur travail. Le travail pour les Romains n'a rien de positif ; comme toutes les sociétés esclavagistes, ils ont le plus profond mépris de ceux qui assurent les nécessités quotidiennes. Un citoyen romain digne de ce nom ne fait rien ; au commencement, sous la République, il assurait la défense du pays et les conquètes qui permettaient de se procurer les indispensables esclaves  mais, sous l'empire, ils ont pris l'habitude de confier de plus en plus souvent cette fonction périlleuse à des barbares mercenaires.

Donc le Romain qui se respecte ne fait rien et n'est pas opposé à ce qu'on peine à sa place.

 Il n'est pas non plus un religieux fanatique ; polytheiste et habitué au défilé de toutes les religions de l'empire, il est, non pas tolérant - terme anachronique, - mais accueillant : un dieu de plus dans son pantheon, la belle affaire ! Seulement, il ne faut tout de même pas le prendre pour une poire, il exige un minimum de réciprocité. Et c'est là que ça se gâte... Il fallait bien que ça tourne mal pour améliorer le régime alimentaire des lions du Colisée et donner du boulot plus tard aux auteurs de peplums.

Pourquoi la crise avec cette religion-là, alors que tout allait bien avec les autres ? Les légionnaires avaient adopté Mithra, les amateurs de mysticisme exotique ne juraient que par les mystères de Cybèle ou Isis, et pas moyen d'intégrer le dieu des chrétiens. 

Le charme des religions du Livre, judaîsme, christianisme, plus tard islam, c'est qu'elles sont des monothéismes totalitaires : le croyant n'a qu'un seul Dieu, maître de toute sa vie. Au lieu de se contenter comme les autres divinités de l'observance d'un catalogue de rites et d'honneurs, il impose ses commandements jusqu'au tréfond des consciences. Honorer un autre dieu est la pire des fautes, parfaitement inimaginable. Aucune chance de compromis avec le citoyen romain polytheiste qui ne s'intéresse pas aux profondeurs de l'âme humaine, il laisse chacun croire ce qu'il veut, mais accorde la plus grande importance aux rites pratiqués en commun qui marquent l'unité du corps social, en premier lieu le culte impérial. L'individu-empereur peut être un fou ou un criminel, il est un homme tout ce qu'il y a de plus mortel, mais en son personnage public réside la vie et l'unité de la cité. En refusant d'y faire allégeance, le chrétien s'exclut de la cité.

Et l'aspect sectaire de ses pratiques n'arrange pas son cas. Il célébre un rite incompréhensible d'où les non initiés sont exclus. On y adore un seul dieu mais qui serait à lui seul trois personnes, un dieu qui était un homme, il y a peu, un agitateur illuminé qui fréquentait des milieux louches et qui est mort crucifié comme un esclave criminel. Rien dans cette religion ne peut attirer la bonne société.

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